lundi 28 février 2011

Beji Caid Essebsi: la phrase qui fait rougir


Beji Caid essebsi : (ex ministre de l’intérieur) s’était adressé à des hommes à terre affaiblis par la torture et des conditions de détention terribles en leur lançant :


« ils tiennent encore » !




Curieusement Béji Caid Essebsi ne se rappelle plus d’avoir dit cette phrase dans ses mémoires.

Et sur 515 pages de mémoires, il ne consacre qu’un paragraphe (à la page 125) au complot de 1962. Il était le Directeur général de la Sureté….

La répression …

Le complot de décembre 1962 :

Fallait-il les tuer ?




Dans cette cinquième et dernière partie de notre dossier consacrée à “ la démocratie à l’épreuve del’indépendance ” (voir les quatre parties précédentes : “ Réalités ” no 1058 du 6 au 12 avril, no 1060 du 20 au 26 avril 2006, no1063 du 11 au 17 mai 2006 et no1O64 du 18 au 24 mai 2006), nous évoquons le complot de décembre 1962 qui, dénotant un mécontentement diffus, a créé une véritable crise politique en Tunisie.


Certes, il est intervenu, six ans après l’indépendance du pays, dans un contexte régional arabe et africain où les coups d’Etat se multiplient. Des Etats nouvellement indépendants connaissent des crises violentes qui amènent à des coups d’Etats soit avortés soit réussis, comme l’attestent l’assassinat du président togolais, le complot contre Senghor, les renversements militaires en Syrie, en Egypte, en Irak, au Yémen etc.



Aussi parle-t-on, à cette époque, de “ contagion du coup d’Etat ”. En réponse au complot tunisien, des réformes de toutes sortes sont mises en application par Bourguiba et son gouvernement et font évoluer la Tunisie vers l’institutionalisation du parti unique à partir de janvier 1963. Qui sont les comploteurs ? Quels mobiles et idées les ont animés ? Quel projet voulaient-ils réaliser ? Pourquoi le verdict a-t-il été jugé “ sévère ” ? Fallait-il les tuer ? Pour répondre à toutes ces questions et à d’autres, nous avons recueilli, à Bizerte, les témoignages de deux participants au complot Kaddour Ben Yochrett et Temime H’maidi Tounsi et ceux des familles de condamnés à mort comme Taos, Rebeh et Younès Chraïti originaires de Gafsa, Habiba veuve Habib Hanini, Henda et Mahbouba Gafsi et le neveu de Hédi Gafsi Hafedh de Bizerte et de Jnaïni Hachani de Tunis. Comme nous avons dressé un portrait d’un dissident de Gafsa Cheikh el Arbi Akremi. Nous nous sommes également adressé, à Hammamet, à Driss Guiga, directeur de la sûreté nationale de 1956 à janvier 1963 qui a eu l’amabilité d’apporter d’importants éclaircissements sur cette affaire qui a failli donner, à la Tunisie bourguibienne, un autre tournant.

Toujours à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance, notre prochain dossier -prévu pour le mois d’août et pour la rentréeportera sur les grandes réformes de la Tunisie indépendante.




Le mardi 25 décembre 1962, au moment où Bourguiba, malade, passe, depuis le 21 décembre, les fêtes de fin d’année au Kef, dans le Nord-Ouest de la Tunisie, un communiqué officiel très laconique annonce qu’un complot contre la sûreté de l’Etat a été découvert et déjoué à Tunis. “ Une information vient d’être ouverte par le tribunal militaire de Tunis pour atteinte contre la sûreté de l’Etat. Une vingtaine de personnes dont quelques éléments appartenant à l’armée font actuellement l’objet de poursuites.

Les inculpés font partie d’un groupe constitué depuis quelques semaines par des éléments hétéroclites et dont certains recevaient des directives de l’étranger. Ces activités ont été rapidement démasquées ” (TAP). Depuis la publication de ce communiqué, les milieux officiels se sont abstenus de toute déclaration et se sont refusés au moindre commentaire. Un mystère a, en effet, entouré les circonstances du complot découvert, si bien que des rumeurs circulaient dans le pays stupéfait devant l’évènement, surtout à la suite d’“ un déploiement “ insolite ” de forces de police autour de Tunis et au centre même de la Capitale. Des barrages établis sur toutes les routes, des contrôles renforcés dans les grandes artères et dans les principales villes du pays, c’était assez pour justifier les hypothèses les plus inquiétantes. Aussi l’annonce des arrestations apparaissait-elle hier comme le dénouement logique d’une crise dont chacun avait senti la réalité sans en connaître exactement la cause et l’étendue ”, note une “ Dépêche particulière ” datée du 24 décembre. “ Les autorités tunisiennes, écrit le journal américain édité à Paris, New-York Herald Tribune, dans son édition du 26 décembre, ont décidé aujourd’hui une censure sur les nouvelles concernant un complot pour renverser le régime de la personne du Président Habib Bourguiba (…).


Les nouvelles sur le complot disparurent des bulletins de radio. Les journaux tunisiens publiaient un communiqué officiel de 70 mots sur la découverte du complot, diffusé la veille par le Gouvernement ”.





Tunis : chuchotements et stupéfaction



“ La population, au début privée d’informations, est restée indifférente puis, à la suite des multiples révélations tardives faites par le gouvernement donnant de l’ampleur à la sédition, a manifesté de l’inquiétude ” ( La Croix du 6-7 janvier 1963). Les Tunisiens, en proie à des rumeurs folles, attendront trois jours pour en savoir davantage grâce aux déclarations sur les conspirateurs faites, le 27 décembre, par Bourguiba et Bahi Ladgham, Secrétaire d’Etat à la Défense, qui souligne une implication de l’étranger. “

La découverte du complot a causé une grande stupéfaction parmi les nombreux tunisiens et ambassades étrangères ici. La plupart des diplomates étrangers bien au courant du grand mécontentement dans le pays, ne s’étaient quand même pas attendu à cette manifestation ouverte ”, note encore le journal américain. La presse officielle présente les coupables comme “ des membres de l’Archéo-Destour, des yousséfistes, des résistants et une poignée de militaires ”. Selon des sources bien informées, note la presse étrangère, des centaines de personnes, autour de 200 à 400, ont été arrêtées et soumises à des interrogatoires. La plupart de ces personnes ont été remises en liberté.

Peu après la découverte du complot, Bourguiba et Bahi Ladgham avaient déclaré que, sans vouloir faire de la Tunisie un Etat policier, une surveillance plus active s’imposait ” (Journal de Genève , 19-29/1/1963). Une vaste opération policière est menée surtout à Bizerte où les comploteurs auraient établi leur PC. Les routes aux entrées dans la capitale étaient, selon toujours le même journal américain, contrôlées par des unités de la Garde nationale et les voitures, près de la ville portuaire de Bizerte, arrêtées, vérifiées et fouillées. “ Pendant cette période, écrit Slimane Ben Slimane dans ses “ Souvenirs politiques ” (1989), on aurait dit que la Tunisie venait de subir un
cataclysme moral et politique. La panique était générale. A la panique avait succédé la terreur après l’exécution des comploteurs (le 24 janvier 1963) ”.





Et Jean Lacouture d’ajouter à la même date: “ Est-ce à dire que, méfiante à l’égard du nassérisme, le Tunisie risque de s’inoculer le virus d’un totalitarisme qui tient toute critique pour trahison, toute recherche intellectuelle pour une hérésie, toute divergence d’opinion pour une forme de sabotage. On ne s’étonnera pas non plus de la multiplication des rafles et des opérations de “ ratissage ” policier dans les périphéries des grandes villes (…). Mais le recours à de tels procédés, peut-être inévitable en temps de crise, est contagieux ; aucun mal public ne s’attrape plus vite, et ne corrompt plus rapidement un organisme d’Etat que celui de l’arbitraire policier. ” ( Le Monde , 25 /1/1963) L’affaire n’a duré qu’un mois.




Commentant le communiqué officiel, le correspondant de l’AFP écrit : “ Il semble qu’il s’agisse d’une affaire qui remonte à quelques mois et qui a nécessité, pour annihiler les comploteurs pourtant peu nombreux, une longue et patiente enquête de la sûreté nationale ”. Version confirmée également par le quotidien Le Monde qui note, dès le 27 octobre 1962, sous la plume de Josette Ben Brahem, que “ selon l’AFP, les comploteurs auraient préparé un premier attentat à la bombe contre le chef de l’Etat tunisien, à son retour de vacances, en septembre dernier. Cet attentat aurait été démasqué alors qu’il en était au stade d’une préparation assez grossière et malhabile ”.


Au mois de novembre, note Le Populaire de Paris (26/12/1962), “ le bruit a couru à Tunis qu’un officier supérieur et quelques officiers subalternes avaient été arrêtés et emprisonnés ”. Le journal a estimé que Bourguiba “ faisait probablement allusion aux manoeuvres subversives en cours dont il n’ignorait pas l’existence ” dans son discours prononcé le 22 novembre devant les cadres du Néo-Destour et les représentants des Chambres économiques arabes réunies à Tunis. Il avait en effet déclaré : “ Nous avons toujours rappelé aux résistants que le pays ne contestait pas leurs éminents services.


Mais nous leur avions fait comprendre aussi que l’Etat avait d’abord besoin de cadres compétents. Il eût été inconcevable que, pour avoir gagné la guerre, les soldats en vinssent à prétendre se substituer aux ingénieurs, aux magistrats, aux ministres, au chef de l’Etat, que sais-je encore... ”. Cette version des faits est totalement démentie par Driss Guiga qui fut directeur de la Sûreté nationale du 15 décembre 1956 au 7 janvier 1963, c’est-à-dire jusqu’à la veille de l’ouverture du procès prévu pour le 8 janvier mais reporté au 12, compte tenu de l’arrestation tardive (début janvier) de quatre inculpés de Bizerte Kaddour Ben Yochrett, Mohamed Salah Baratli, Ali
Kchouk et Habib Hanini capturés à l’issue d’une véritable chasse à l’homme.





Carences des services de sécurité ?




Driss Guiga fut, en effet, démis de ses fonctions et remplacé par Béji Caïd Essebsi. “ Il n’y avait rien à lui reprocher personnellement, écrit le Journal de Genève (du 19- 20/1/1963), mais ses services avaient immanquablement manqué de vigilance ”. Le complot a été découvert, selon la source officielle, par la partie militaire. La déposition manuscrite faite au siège du Parquet militaire, le 19 décembre 1962, par Slaheddine Baly, alors procureur de la République auprès du tribunal militaire permanent, informe que la découverte du complot s’est faite le mercredi 19 décembre 1962 grâce à la dénonciation d’un sous-officier de l’armée tunisienne, le dénommé Amor Toukabri. La sûreté nationale a-t-elle failli à ses responsabilités ? Même si Driss Guiga a été nommé au poste de Caïd Essebsi à la tête de la direction du tourisme, cette permutation ne constituerait-elle pas une sorte de “ sanction ” ? Mohamed Sayah, dans son Histoire du
Mouvement national, montre bien les déficiences des rouages du ministère de l’Intérieur qu’il explique aussi par “ des conflits de compétence et de susceptibilités ” ainsi que par “ l’absence d’un système d’analyse et de coordination qui aurait pu, à partir d’informations disparates, rentabiliser davantage le travail des services de sécurité ”. Ces informations auraient été délivrées, selon Sayah, par Béchir Zarg el Ayoun et aussi Cheikh Hassen Ayadi. Driss Guiga n’a pas nié que les services de sécurité auraient dû être plus vigilants. “ Pour nous, il est tout à fait normal qu’un chef de département qui n’a pas été à la hauteur de l’évènement en question puisse être déchargé de cette responsabilité ”, nous a-t-il précisé.





Et d’ajouter : “ Je ne l’ai pas senti comme une sanction, ni Bourguiba d’ailleurs puisque j’ai tout de suite occupé le poste de directeur du tourisme ”. Et puis, rappelle-t- il, “ nous vivions tout le temps avec les complots, à l’époque, comme celui fomenté par Salah Najar et piloté par Féthi Dib, l’ancien chef des services secrets égyptiens qui le signale dans son ouvrage. Les complots existaient depuis que la Tunisie n’a pas voulu suivre la voie du panarabisme et du nassérismes très en vogue à cette époque.

Nous avions fait avorter trois petits complots qui venaient de l’extérieur. De plus, nous avions été confrontés à des complots tel que celui de “ Magenta ” des services français de sécurité. La base de Bizerte étant occupée, comment empêcher alors les soldats français de se mettre en civils et de circuler dans le pays pour créer des problèmes ? Ajoutons à cela la présence sur notre territoire de la résistance algérienne et la question du transfert des armes encadré par la garde nationale tunisienne. Nous avons même aidé nos frères algériens à déjouer des complots internes à la révolution algérienne, comme celui de Laamouri qui a été par la suite condamné à mort par le FLN. Ce sont ces évènements qui dominaient notre vie de tous les jours alors que nous ne disposions que d’une police limitée.





Nous n’avions pas non plus d’armes. Il a fallu attendre deux années après l’indépendance pour pouvoir acquérir les premiers fusils de la police tunisienne (avec ses 300 policiers et ses quatre ou cinq commissaires), d’autant que nous n’avions pas beaucoup d’argent pour en acheter. De plus, nous vivions aussi avec les séquelles du conflit inter-destourien. La situation du pays était difficile ”.





Mobilisations et… interdictions




Le 28 décembre, une manifestation encadrée par les responsables du Néo-Destour et de l’UGTT est organisée à Tunis en faveur du Chef de l’Etat, à qui sont adressés des télégrammes de soutien. A cette même occasion est déclenchée une grève d’“indignation contre le complot ” : magasins, bureaux et usines fermés et services des transports publics suspendus. Des tracts sont distribués, demandant l’interdiction du PCT et des banderoles brandies sur lesquelles on peut lire : “ Distribuez le domaine agricole de Masmoudi aux petits agriculteurs ! ”. Toute une foule est montée contre les opposants de gauche et l’équipe d’Afrique Action dont fait partie Mohamed Masmoudi et qui a critiqué “ le pouvoir personnel de Bourguiba ” (voir 3ème partie de notre dossier). L’Assemblée nationale demande, à son tour, le châtiment exemplaire des coupables. Les formations politiques et syndicales dénoncent “ cette bande fasciste qui conspirait pour instaurer un régime dictatorial militaire ”, note un communiqué de l’UGTT, présidée par Ahmed Tlili. Le PCT, dans une déclaration, flétrit “ le recours à l’assassinat politique et répudie les méthodes de complot ”.




Le 31 décembre, à la suite d’informations judiciaires, les journaux du PCT (At-Talia ) (L’Avant-garde) et la Tribune du progrès , mensuel progressiste dirigé par Slimane Ben Slimane, sont suspendus. A la suite de cette interdiction, le Dr Ben Slimane qui a, par ailleurs, dénoncé le complot, publie un texte où il est dit notamment que: “ cette mesure est d’autant plus injustifiée qu’elle frappe un journal dont toute la politique s’oppose au recours aux méthodes du complot. Elle procède manifestement de la volonté de certains d’utiliser la découverte du complot pour créer une inadmissible confusion et pour attenter gravement aux libertés démocratiques et tout
particulièrement aux libertés d’opinion et de presse ”. Le Parti Communiste est interdit le 8 janvier 1963 et ses militants soumis, pendant plusieurs jours, à un interrogatoire quotidien —parfois musclé— dans les locaux de la police.




Hassen Saadaoui, responsable syndical de l’USTT et ancien détenu à Borjel-Boeuf avec Bourguiba, mourra dans un poste de police de “ crise cardiaque ”, a-t-on dit à sa famille.




Crime et châtiment




Le 31 décembre 1962, le parquet militaire a déféré 26 accusés pour complot contre la sûreté de l’Etat. Les accusés sont répartis en deux groupes : les accusés civils sont au nombre de 18, et les inculpés militaires —ex-commandants et ex-militaires— au nombre de huit (dont un en fuite), dont Bahi Ladgham en personne a procédé à l’interrogatoire avant d’en rendre compte à Bourguiba au Kef. La Haute Cour est présidée par Ali Chérif assisté par deux juges civils et deux juges militaires. Les avocats, commis d’office, sont : Me Ridha Kahia, Mokhtar Maaraf, Khereddine Ellili, Slaheddine Caïd Essebsi et Brahim Zitouni. Le procès auquel les autorités ont réservé une forte médiatisation a été, selon tous les témoignages, très rapidement instruit. “

Cela tient au fait que tous les gens arrêtés ont vite reconnu les faits. Il n’y avait donc aucune raison de s’attarder surtout qu’il s’agit d’une tentative d’assassinat du Chef de l’Etat et que cette situation pourrait être exploitée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ”, nous affirme Driss Guiga. D’ailleurs ( La Presse ) a répondu à cette critique dans sa synthèse du procès en écrivant : “ Mais si la procédure a été accélérée grâce à un travail entrepris de jour et de nuit, il ne faut pas croire pour autant que l’enquête a été expéditive. Au contraire, les débats ont révélé que tout avait été fait avec un soin méticuleux, le souci de tout éclairer, de tout vérifier ”. Selon les inculpés dans cette affaire que nous avons rencontrés, les interrogatoires se sont déroulés dans des conditions le moins que l’on puisse dire pénibles. Ils ont subi, disent-ils, toutes sortes de sévices physiques et moraux. Azzeddine Azouz, lui-même, arrêté sans avoir été jugé, le 25 décembre, dans le cadre de cette affaire, raconte sa détention dans les locaux de la brigade de la Sûreté de l’Etat, dans son récit “ L’Histoire ne pardonne pas. Tunisie 1938-1969 ” (L’Harmattan/Dar Ashraf Editions, 1988). “ Je fus éveillé par d’atroces cris de douleurs provenant de pièces avoisinantes. Je réalisai promptement que l’interrogatoire nocturne commençait… Je peux décrire ici ce que j’ai entendu ce soir-là : tortures, supplices, cris inhumains, coup de cravache, étouffements à l’eau, brûlures à la cigarettes et à l’électricité, supplice de la bouteille…Je ne pouvais en croire mes oreilles et m’imaginer vivre en plein vingtième siècle, dans une Tunisie
moderne et indépendante sous la présidence de Bourguiba. Un policier de stature colossale fit irruption dans la pièce où j’étais, une cravache à la main et tout en sueur à forcer de frapper les détenus ”.






Le procès des conjurés



Le procès s’ouvre à Tunis, dans une salle de la caserne de Bouchoucha à partir du 12 jusqu’au 17 janvier 1963. 25 accusés (âgés de 27 à 43 ans) dont sept officiers, d’anciens résistants, d’officiers de la Garde nationale, d’ex-yousséfistes, d’instituteurs et un cadre du Néo-Destour, sont à la barre —le 26ème étant en fuite en Algérie— pour être jugés entre autres selon l’article 72 du Code pénal qui prévoit la peine capitale, réclamée par Slaheddine Baly, alors chef du parquet militaire. Le complot n’ayant pas été exécuté, l’acte d’accusation a fait allusion à un commencement d’exécution du complot. Point juridique très délicat et important que la défense désignée —car les inculpés n’ont pas eu droit au choix de leurs avocats— n’a même pas été soulevée. Me Ridha Kahia a laissé échapper cette phrase lors de sa plaidoirie :
“ Si les inculpés avaient été livrés au peuple, ils auraient été lynchés Mais le tribunal peut s’élever au-dessus des passions ”.




Les chefs d’inculpation retenus sont : complot contre la sûreté intérieure, attentat à la sécurité de l’Etat, tentative d’assassinat du Président de la République, tentative de renversement du gouvernement et substitution d’un autre gouvernement à celui existant et détention d’armes et approbation des biens de l’Etat. L’éditorial de ( L’Action ) du 12 janvier, s’intitulant : “ Tels des microbes dans un organisme sain ” souligne, que l’enquête a duré près d’un mois, et évoquant “ ces forces obscures, ces forces du mal ”, note : “ Les ayant anéantis, l’organisme n’en sera que plus sain et plus prospère ”. Le procès a été retransmis en différé par la radio.



La presse officielle a réservé quotidiennement plus de deux pages à son déroulement. Et la presse étrangère était fortement représentée dans la salle d’audience, interdite aux familles des accusés qui n’ont plus eu de leurs nouvelles (voir plus loin les témoignages). Voilà comment Jean Lacouture, envoyé spécial du quotidien ( Le Monde), a décrit le premier jour du procès qui s’est déroulé le 12 janvier : “ Les débats se déroulent dans une grande salle claire et presque pimpante de l’ancienne caserne Faidherbe au Bardo. Etrange antithèse que celle de ce cadre d’école moderne, aux vastes baies et aux murs repeints de frais, et les personnages introduits tour à tour, emmitouflés dans des cagoules brunes, comme dans un procès médiéval en sorcellerie.

Antithèse aussi entre les accusés civils rasés, humbles, aux mines généralement patibulaires, et les officiers revêtus de leur uniforme, visiblement issus d’une bourgeoisie aisée et qui portent presque beau, à l’exception de l’ancien aide de camp de Bourguiba, le capitaine Maherzi, dos rond, visage tuméfié ou bouffu par les larmes, et qui offre l’image même de l’humiliation. Dans le prétoire, Lazhar Chraïti, l’ancien maquisard devenu transporteur (…) donne le ton, tournant vers les photographes sa face tannée de ruffian jovial et sans mystère ”.






La préparation du complot



L’idée du complot a commencé à germer dans la tête de quelques-uns dès septembre 1961, après la bataille de Bizerte. C’est durant cette période que les premiers contacts ont été pris. Selon Temime H’madi Tounsi, qui fut le plus jeune du groupe et condamné à vingt ans de travaux forcés, “ il existe en réalité trois groupes de mécontents qui se sont constitués sans s’être concertés au préalable mais qui se sont retrouvés dans le même projet par le biais d’agents de liaison comme Hédi Gafsi et Amor Bembli. Le groupe de Gafsa avec Abdelaziz Akrémi projetait de faire une révolution à partir des montagnes et de demander des armes à l’Algérie. Celui de Bizerte, constitué entre autres de Habib Hanini, Marzouk et Chraïti qui avaient pensé à procéder à la neutralisation du Chef de l’Etat dans la ferme de Aïn Ghelel où Bourguiba, à la recherche de quelques moments de détente, passait parfois ses weekends. Et, enfin, celui de Tunis qui est le maillon militaire avec Bembli qui connaissait parfaitement la technique des coups d’Etat vu qu’il y avait participé du temps où il était en Orient. Bembli a fait appel à la police militaire qui contrôlait en fait le pays à partir de 18h, à des sous-officiers dont les deux Toukabri et Landolsi qui ont fini par dénoncer le projet ”. Sans oublier quelques personnes comme l’ex magistrat Ahmed Rahmouni et Ahmed Ben Tijani qui viennent du Kef où Bourguiba a fait construire un palais tout neuf. Aussi l’idée traverse-t-elle presque la totalité des régions du pays, du Sud au Nord ”. La plupart des réunions se sont tenues, nous dit Temime H’madi Tounsi, chez Hédi Gafsi, au 1, rue de l’Arabie Saoudite à Tunis. Certains membres de ces groupes se sont entendus sur un changement du régime et proposé que le
gouvernement Bourguiba soit remplacé par des personnalités comme Mahmoud Materi, Mongi Slim, Taïeb Mhiri, Fadhel Ben Achour, Mohamed Masmoudi etc…Selon divers témoignages, il ne s’agit nullement de mettre en place un régime militaire, mais plutôt un pouvoir civil qui respecterait, dit-on, les libertés démocratiques et qui resituerait la politique tunisienne dans l’aire arabe.

Une mésentente entre les militaires et les civils lors de la dernière réunion du 18 décembre qui a lieu, dans la maison de Lazhar Chraïti à Ez-Zahra, termine la réunion “ en queue de poisson ” selon l’expression d’un des accusés et laisse le projet en suspens. Certains ont même pensé y renoncer, d’autres à construire un mouvement politique d’opposition. C’est à ce moment précis qu’intervient la dénonciation par un sousofficier et le coup de filet qui surprend chez eux la plupart des accusés. Certains d’entre eux n’ont pas mesuré la gravité de l’affaire et pensaient pouvoir retourner chez eux ou n’écoper que quelques années d’emprisonnement. La question épineuse de
l’assassinat de Bourguiba, sur laquelle on s’est basée pour justifier le lourd verdict, ne semble pas avoir été discutée entre tous les membres du groupe et décidée définitivement. “ Que faire du Président ? Oui la question s’était posée, affirme Temime H’madi Tounsi. Mais aucune décision n’a été arrêtée. Je n’étais pas au courant du projet d’assassinat. Lazhar Chraïti a usé de cette formule pour laquelle on lui a tenu rigueur : “ Il suffit de couper la tête pour que les racines se dessèchent ”.

Mohamed Salah Baratli de Bizerte a confié, lors de la journée qu’a consacrée au complot l’institution de recherches de Témimi (le 19 octobre 2002), que cette idée a bel et bien existé entre lui et Abdelaziz Akremi et que lui-même s’était proposé pour accomplir ce geste.





Le tribunal a, par ailleurs, réservé une séance à huis clos d’un peu plus d’une heure pour discuter ou mettre en évidence des complicités avec l’étranger, et plus précisément l’Algérie. Bon nombre d’observateurs ont estimé que cette accusation n’était pas sérieuse vu qu’Alger n’était pas du tout impliquée dans le complot. Que le pays ait offert l’asile politique à des Yousséfistes comme Chouchène et Tobbal ou qu’un agent consulaire ait remis un passeport algérien à l’un des accusés, Mostari Ben Saïd —qui est effectivement d’origine algérienne— ne pouvait justifier aucunement une complicité avec le projet du complot.





Un verdict jugé sévère : fallait-il les tuer ?




La quasi-totalité des accusés ont reconnu leur rôle et demandé la clémence de la Cour. Le verdict tombe après vingt-trois heures de délibérations, de mercredi matin à jeudi matin. “ 23 heures de suspense ”. Le journal français ( La Croix ) (du 18/1/1963) a commenté cela en écrivant que la cour “ en délibérant si longtemps, a probablement battu le record de toutes les juridictions du monde ”. “ Les vingt-cinq accusés, après avoir passé toute la journée du mercredi dans la prison civile ou à la prison militaire, avaient été conduits, sous bonne garde, la nuit du mercredi à jeudi, à 22 heures, dans une pièce voisine de la salle d’audience. C’est là que menottes aux poings, ils ont attendu, pendant des heures interminables, d’être fixés sur leur sort, qui leur a été finalement signifié à la prison civile de Tunis, où ils avaient été reconduits au petit matin ” ( La Croix ). Les attendus du jugement ont été lus pendant plus d’une heure par le président Ali Chérif devant une salle silencieuse, en l’absence des accusés dans la salle. Ces derniers n’en ont été informés dans leurs cellules en prison: traize condamnations à mort : les militaires : Ben Saïd, Meherzi, Bembli, Hachani, Barkia, Guiza et El Materi (ces deux derniers, anciens saint-cyriens, seront graciés par Bourguiba, à la demande de Wassila et leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité), et les civils : Chraïti, Abdelaziz El Akremi, Gafsi, el Hanini, Rahmouni et Ben Boubaker (par contumace). Les autres sont condamnés aux
travaux forcés à perpétuité, à 20, 10 ou 5 ans de travaux forcés et à 2 ou 1 an (s) d’emprisonnement.





Tous les officiers de l’armée tunisienne sont dégradés. Les condamnés disposaient de trois jours pour se pourvoir en cassation. Ce pourvoi contre le verdict prononcé par le tribunal militaire permanent de Tunis a été rejeté par la Cour de Cassation qui a confirmé le verdict. “ Ce fut, nous dit Temime H’madi Tounsi, une grande injustice et une entorse à nos droits d’inculpés ”. Les journaux étrangers ont espéré un geste de clémence de la part du Président Bourguiba qui disposent du droit de grâce pour les condamnés à mort. “ On veut espérer qu’il en usera pour atténuer les rigueurs de la justice dans une affaire où des hommes qui faisaient parfois figure de simples
comparses ont été lourdement frappés ”, juge La Croix (18/1/1963). Il n’en est rien. La grâce n’est accordée qu’à deux condamnés Materi et Ben Guiza, dont la peine est commuée en travaux forcés à vie.




Cette rigueur avec laquelle le Président Bourguiba a rejeté la presque totalité des recours en grâce a été très commentée par la presse étrangère. “ 23 heures de délibérations (…) pour décider de sévir avec cette sévérité donnent une indication sur la complexité de l’affaire. Si fort qu’elle ait éprouvé la tentative d’assassinat d’un leader populaire, l’opinion publique d’un peuple pacifique et peu sanguinaire serait probablement sensible à un geste de clémence, mais l’appareil du Néo-Destour avait senti de trop près le vent du boulet pour ne pas pencher vers la rigueur ”, écrit Jean Lacouture dans le quotidien Le Monde (“ Tunis, un verdict vigoureux ”, 18-1-1963).


Le verdict a, en effet, été jugé très dur et très sévère, au-delà de la condamnation unanime du complot. La revue Esprit , en mars 1963, a écrit : “ A Tunis, le tribunal de M. Bourguiba fut plus rigoureux encore pour l’acte inaccompli des conjurés que celui du Caire pour l’attentat effectif des Frères Musulmans : treize condamnations à mort…

J’étais dans la salle de rédaction d’un journal tunisien quand la radio annoncé le verdict ? La stupeur ne saurait se décrire. (…). Mais peut-être ce pays de tolérance et de sagacité a-t-il, depuis qu’on y juge plus rudement qu’au Caire, perdu quelques amis”.



Le lendemain du verdict, le18 janvier, Bourguiba rentre triomphalement à Tunis et prononce un discours à la Kasbah où, avec fermeté, il évoque le complot et dénonce les implications algériennes. Au grand étonnement des observateurs et de la partie algérienne avec laquelle quelque jours plus tôt il était question de coopération bilatérale entre les deux pays. Le 25 janvier 1963, un communiqué du Secrétariat
d’Etat à la Défense nationale informe qu’“ il a été procédé hier matin à l’aube à l’exécution du jugement du tribunal militaire permanent. Les autres condamnés ont été amenés, le 2 février, au bagne ottoman de Porto Farina, au dépôt de munitions du temps des Turcs où enchaînés aux pieds, ils ont passé sept ans dans des conditions très dures et sans aucune nouvelle de leurs familles. Ils ont été conduits ensuite à la prison Borj Erroumi de Bizerte où ils ont vécu dans des damous , sorte de dépôt de munitions du temps des Français à 37 marches (à environ 15 m) de profondeur. Les murs, selon les témoignages recueillis, suintaient continuellement : 3 à 4 litres par jour si bien que “ nous grelottions hiver comme été à cause de l’humidité. Quant au soleil ou aux rais de lumière, nous n’y avons eu droit qu’après nos sept années passées à Porto Farina et notre transfert à Bizerte.





Pendant plus de sept ans, nous avons vécu dans l’obscurité de jour comme de nuit ”, confie Temime H’maidi Tounsi (lire plus loin le témoignage de Ben Yochrett). Ils ont reçu la visite de quelques personnalités politiques comme Taïeb Mhiri, Béji Caïd Essebsi, Mohamed Farhat, Hédi Baccouche, Tahar Belkhodja, Fouad Mbazaa, le gouverneur de Bizerte… “ Après la visite de Taïeb Mhiri, le système est devenu plus dur. Je me souviens encore de la phrase de Béji Caïd Essebsi : “ Ils tiennent encore ? ”, nous dit encore Temime H’madi Tounsi.

Le 31 mai 1973, ils ont été libérés suite à une grâce présidentielle,
après dix ans de détention.

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