vendredi 3 juin 2011

:la révolution ratée

Friedrich Schiller:la révolution ratée
Le Theme de l'Unite et de l'Harmonie de l'Homme chez Friedrich Schiller

Friedrich Schiller n'est pas seulement un sommet de la littérature allemande, il est en même temps un philosophe d'une profondeur et d'une originalité impressionnant. Il ne "poétise" pas la philosophie, mais suit les exigences d'une pensée d'une rare rigueur theorique et methodologique. Son oeuvre philosophique est l'une des plus remarquables contributions dans la philosophie de l'art. Il faut mentionner pourtant que les recherches philosophiques du grand ecrivain ne se limitent pas a l'explication du phenomene artistique comme tel: l'art represente pour lui une premisse de l'activite de penser philosophiquement, de l'elaboration d'une conception du monde et de l'homme. Schiller est le penseur qui considere l'art comme l'instrument indispensable pour la comprehension du sens du monde et de la vie. C'est pour cela que, en analysant sont oeuvre philosophique, nous n'y decouvrons pas seulement un systeme esthetique interessant, mais nous penetrons dans un univers philosophique complexe, fonde sur des considerations d'ordre esthetique. On peut dire que, pour ce genial poete et dramaturge, l'esthetique n'est pas seulement un branche de la philosophie mais une veritable methode de celle-ci.

Schiller a ete profondement marque par la questions spirituelle que posait, des le debut, l'evolution du monde moderne, confronte a la crise d'une pensee en train de perdre le sens de la totalite et du Principe, il a essaye d'offrir une solution a ce probleme grave, en partant des elements essentiels offerts par la culture moderne qui, une fois engage dans l'histoire, s'est limitee a la valarisation du vecu et de la creation humaine.

Dans l'elaboration de sa conception philosophique, le penseur allemand part donc du constat de la maladie de la culture et de la civilisation modernes europeennes et reflechit, en s'inspirant de Kant sur la relation entre les facultes essentielles de l'esprit et les conditions que president a la realisation de l'individu en tant qu'etre total, car l'individu harmonieusement develloppe est l'instance supreme dont depend finalement l'evolution normale equilibree d'une societe.

Le theme de l'accomplissement de l'individu comme l'homme total, unitaire et harmonieux est le theme central de la pensee de Schiller, place sur le fond des questions et des inquietudes provoquee par l'evoluton des evenements de la Revolution Francaise et, en meme temps, par "le besoin d'adopter une voie moyenne entre l'acceptation soumise de la dictature et la rebellion sauvage" (1)

Comme les grands representans des Lumieres, Schiller desirait l'instauration d'un Etat de la raison et voyait dans la Revolution Francaise le premiere tentative de mettre d'acord l'Etat et la Raison, mais il ne pouvait pas accepter idee, presente dans l'oeuvre de Kant, de l'institution d'un Etat qui annihilot d'epanouissement harmonieux de la personnalite humaine. Schiller, le moraliste, etait attire par le systeme de Kant; en revanche, Schiller, l'artiste et l'etheticien, voulait recuperer l'unite de la nature humaine et du monde humain. D'ailleurs, sa pensee lucide et visionnaire, qui est celle d'un combatant acharnne pour la liberte, lui fait voir les consequences funestes d'une societe qui surencherit, avec une intrasigences radicale, les exigences de la raison.

Moralement, l'homme moderne n'est pas a la hauteur des exigences de l'epoque, Schiller estimant que l'obstacle qui empechait l'Etat de devenir l'organe de la liberte humaine etait constitue par la persistance de la condition immorale du manque de liberte. L'homme, dans la societe industrielle moderne, est moralement indigne de liberte politique, parce qu'il reste divise par l'opposition entre les domaines de la necesite et de la liberte, des instincts et du devoir moral, du sensible et de l'intelligible.

Dans Brife uber die asthetische Erziehung des Menschen, Schiller remarque le fait que l'édifice pourri de l'Etat naturel, c'est-a-dire de l'Etat fonde sur la force et l'oppression, chancelle, mais bien que le moment historique soit favorable au renversement, il ne trouve pas une génération capable de le faire. Il constate que "les instincts brutaux et anarchiques" caractérisent "les classes d'en bas" tandis que "les classes civilisées présentent l'aspect encore plus dégoutant, de la mollesse et de la dégénérescence, qui est d'autant plus révoltant, qu'il est cause par la culture. (2)

Par opposition a son epoque, Schiller croyait que l'Antiquité grecque avait ete la période de l'histoire de l'humanité ou l'individu vivait en totale unite et harmonie avec soi-même et avec la nature. La civilisation moderne a détruit la vieille unite et l'harmonie. "C'est la civilisation elle-même qui a fait cette blessure au monde moderne. Aussitôt que, d'une part, une expérience plus étendue et une pensee plus précise eurent amené une division plus exacte des sciences, et que, de l'autre, la machine plus compliquée des Etats eut rendue nécessaire une séparation plus rigoureuse des classes et des taches sociales, le lien intime de la nature fut rompu, et une lutte pernicieuse fit succéder la discorde a l'harmonie qui régnait entre ses forces diverses". (3) La division du travail est la cause de la situation précaire des hommes. Le conflit des facultes a pour consequences le progrès de la civilisation, l'espèce a donc gagne mais les individus, pris isolement, sont incomplets et mutiles. Bien que l'humanité gagne en cultivant, isolement, les forces humaines, l'individu souffre a cause de ce but général.

En révélant les fondements sociaux de la désintégration de l'ame individuelle, Schiller écrivait: "Alors il y eut rupture entre l'Etat et l'Eglise, entre les lois et les moeurs; la jouissance fut séparée du travail, le moyen du but, l'effort de la récompense. Eternellement enchaine a un seul petit fragment du tout, l'homme Lui-même ne se forme que comme fragment; n'ayant sans cesse dans l'oreille que le bruit monotone de la roue qu'il fait tourner, il ne développe jamais l'harmonie de son etre; et au lieu d'imprimer a sa nature le sceau de l'humanité, il finit par n'etre plus que la vivante empreinte de l'occupation a laquelle il se livre, de la science qu'il cultive." (4)

Puisque la source de la désintégration de l'individu se trouve dans l'evolution de la culture, le retour a l'état ou l'individu vivait dans l'unite et l'harmonie avec soi-même et avec le monde, trait caractéristique, selon Schiller, du monde grec, doit etre oeuvre toujours de la culture. Si l'harmonie des facultes humaines ne peut etre réalisée par la voie de la lutte révolutionnaire, le grand dramaturge allemand, se fondant sur les idées de Kant concernant la compatibilité de la raison theorique avec la raison pratique par l'entremise de l'esthetique, qu'il développe arrivant a de nouvelles conclusions, au-delà des conceptions du maitre - pensera que l'art est l'instrument de la transformation de l'Etat naturel de la contraint (Notstaat) dans l'Etat de la raison (Vernunftstaat), de Ia liberte.

Conscient du fait que la révolution par le changement des structures sociales ne peut réaliser la réconciliation de la sensibilité et du devoir, de la nécessite et de la liberte, Schiller arrive a la conclusion que pour résoudre la question politique il faut passer, d'abord, par l'univers de l'art, car le chemin de la liberte passe par la beauté. Par conséquent, le penseur allemand considere que de l'extérieur on ne peut pas mettre de l'ordre dans le monde de l'homme, ii faut le régénérer de l'intérieur.

Ces idées sont présentes d'abord dans l'ouvrage Uber Anmut und Wurde, ou Schiller démontre que l'art et la morale se complètent pour élever l'homme à la dignité. Le penseur fait la distinction entre la beauté et la grâce, l'une exprimant la plénitude de la nature et l'autre celle de la pensee. La nature offre le beau architectonique et l'ame - le beau du mouvement. La grâce, c'est la beauté de la forme sous l'influence de la liberte. La beauté architectonique est une donnée de la nature, la grâce est un mérite personnel. Les mouvements - les gestes, les attitudes - traduisent la spontanéité personnelle de l'homme. Ainsi, la grâce est la médiation supérieure de la dignité humaine. La morale ne doit pas etre, comme pour Kant, un effort volontaire et rationnel vers le devoir; elle nous demande de cultiver le sens moral immédiat, qui conduit l'homme a la beauté morale. Si l'homme n'etait moral qu'en sacrifiant sa nature spontanée, il serait a la fois sublime, héroïque et malheureux; et si l'homme allait vers le bien spontanément en tant qui etre conscient il manquerait de dignité. Mais il y a un stade ou le devoir et le sentiment se réconcilient ou l'homme comprend la nature sans perdre le droit d'appartenir au monde intelligible; c'est le stade de la perfection esthetique Le beau dépasse a la fois la suggestion égoïste et l'effort de la maitrise rationnelle.

Cette étude nous fait voir clairement comment Schiller corrige et dépasse Kant. Kant a raison de soutenir que l'approbation des sens ne garantit pas la moralité de nos actions; mais il n'a pas raison de rejeter l'association des sentiments aux lois principales de la raison. L'homme doit obéir avec plaisir à la raison. Le devoir moral et l'instinct naturel doivent se mettre d'accord chez l'homme qui mérite ce nom. "Par cela seul que la nature a fait de lui un etre tout a la fois raisonnable et sensible, c'est-a' -dire un homme, elle lui a prescrit l'obligation de ne point séparer ce qu'elle a uni, de ne point sacrifier plus pures manifestations de sa partie divine et de ne jamais fonder le triomphe de l'une sur l'oppression et la ruine de l'autre." (5)

La raison ne doit pas se faire de la sensibilité un ennemi, mais bien un ami. "L'ennemi qui n'est que renverse peut se relever encore: mais l'ennemi réconcilie est véritablement vaincu." (6)

L'individu dans lequel se concrétise l'harmonie entre la nature et la raison, entre le penchant naturel et le devoir est doué, selon Schiller, d'une belle amé (schone Seele) "On dit d'un homme que c’est une belle ame lorsque le sens moral a fini par s'assurer de toutes les affections, au point d'abandonner sans crainte, a la sensibilité la direction de la volonté et de ne jamais courir le risque de se trouver en désaccord avec les décisions de celle-ci." (7) Pour l'homme chez lequel les sens sont en contradiction avec la raison, l'accomplissement du devoir moral est difficile parce qu'il doit se soumettre au contrôle de la loi morale; en revanche, pour l'homme à la belle ame, l'activite morale est le produit naturel de tout son etre.

On observe, déjà, dans cette étude, que Schiller brise le cadre étroit du rigorisme kantien. Le philosophe de Konigsberg, malgre son effort d'harmoniser le monde des sens et le monde moral, a sacrifie la pulsion de la vie en faveur de la loi morale, en soutenant que la vertu ne peut plus etre vertu lorsqu'elle se réalise par un penchant naturel.

La manière de résoudre la question de la relation entre la nécessite et la liberte, le sensible et l'intelligible, fait la différence radicale entre la conception de Schiller et celle de Kant. Le philosophe de Konigsberg a pose la question de la relation entre la théorie, l'éthique et l'esthetique, mais il l'a laissée en suspens a cause de son rigorisme; Schiller a réussi a harmoniser, grâce a son génie artistique, les trois facultes de l'esprit et a offrir une image de l'homme total. Kant n'a pas réussi à les concilier parce que, chez lui, ces facultes représentaient plutôt des aspects statiques, rigides. En revanche, chez Schiller, elles deviennent des entités dynamiques, dialectiques, qui arrivent finalement a se combiner et a cristalliser dans une harmonie supérieure.

Grace a la façon dynamique d'aborder et de penser la relation entre les trois formes essentielles de l'esprit "on a soutenu que l'esthetique de Schiller ne dérivait pas de celle de Kant, comme on le croit d'habitude, mais du courant pan dynamique, qui, de Leibniz, en passant par Creuzens, Ploucket et Reimarus, s'est intensifie en Allemagne jusqu'a Herder, qui a conçu une nature complètement animée" (8) Nul doute que l'esprit dynamique, vif; animiste soit définitoire pour la conception de Schiller, ce qui ouvre la perspective de l'idee de grande valeur et profondeur de l'homme total, par laquelle sa creation, bien que développée sous l'influence de la philosophie critique, represente un phenomene spirituel spécifique, Independent.

A propos de l'originalité de la position de Schiller et de sa valeur theorique, explicative, Hegel constatait: "contre l'infinité abstraite de la pensee, contre le devoir envers le devoir et contre l'intellect dépourvu de forme - intellect qui conçoit la nature et la réalité, les sens et le sentiment uniquement comme un barrière, comme un ennemi,- en se considérant oppose a ceux-ci-, le sens artistique d'un esprit profond et en meme temps philosophique a exige et a exprime le premier la totalite et la conciliation, et cela avant qu'elles soient reconnues et imposées par la philosophie de sa propre position. Ii faut reconnaitre le grand mérite de Schiller d'avoir brise la subjectivité et la nature abstraite de la pensee kantienne et d'avoir ose, au-dessus d'elles, tenter de saisir par la pensee l'unite et la conciliation comme elements constitutifs de la vérité et d'essayer de réaliser artistiquement cette conception." (9)

Le sommet de la réflexion philosophique schillérienne est represente par Brife uber die asthetische Erziehung der Menschen, ou, a l'esthetique subjective kantienne, caractérisée par le fait que le beau est rapporte a la raison theorique, c'est-a-dire au jugement, s'oppose l'idee du beau rapporte a la raison pratique, liée a l'action, a la nature, au monde réel, a l'histoire. Si pour le moraliste Kant le monde sensible doit etre supprime, pour l'artiste Schiller celui-ci represente le support meme de la creation artistique. Par conséquent, nier la sensibilité c'est nier l'artiste, l'homme comme individu, la personne, la liberte. Puisqu'il poursuivait la conciliation du sensible et de l'intelligible, de la nécessite et de la liberte, Schiller etait insatisfait par toute solution qui sacrifiait l'un des principes a l'autre. Le fondement de la conciliation des deux principes c'est l'idee kantienne de la liberte, conformément a laquelle l'homme doit déterminer ses actions soi-même.

Cette manière de poser la question prouve que l'idee fondamentale qui préoccupait Schiller etait de sauver les traits humains, relevés par l'unite entre l'aspect rationnel, intelligible et l'aspect sensible, naturel. Le rationnel represente le cote général et le sensible - le cote individuel de l'homme. Pour sauver ce qui est propre a' l'homme il ne faut pas sacrifier l'individuel ~ au général. L'Etat ou' l'individualité serait sacrifiée, serait dépourvu de ses sources créatrices. La question n'est pas de sous-estimer, de minimaliser le naturel, donc l'individualité, mais d'identifier la voie par laquelle on pourrait l'élever au niveau de la moralité.

La mission d'instaurer un Etat de la raison par une libre décision de l'humanité n'est pas, selon Schiller, le fruit d'une révolution, mais celui de l'éducation et surtout de l'éducation esthetique. Le changement social authentique ne sera donc pas produit par le dynamisme des luttes sociales, mais par une réflexion de l'humanité sur elle-même. Il affirme donc: "En un mot, il n'est pas d'autre moyen de faire raisonnable l'homme sensitif que de le faire d'abord esthetique" L'éducation esthetique envisage l'homme dans son entier; elle ne concerne pas uniquement le cote rationnel, mais les comprend tous les deux; elle remplace la discorde entre la nature et la raison par l'harmonie. La solution de la question sociale consiste donc, finalement, dans l'identification de la voie par laquelle s'instaure dans l'homme l'état d'equilibree entre ses deux déterminations fondamentales: entre sentir (Empfinden) et penser (Denken), entre la sensibilité, la diversité de la réceptivité (Stoffirieb) et la stabilité, l'unite de la forme intellectuelle (Formtrieb). L'accord harmonieux entre ces deux tendances est institue lorsqu'elles sont 'également satisfaites, c'est-a -dire lorsqu'elles se limitent réciproquement moins par soumission que par composition.

La cause de cet accord réside dans une troisième tendance, que Schiller appelle la tendance du jeu (Spieltrieb). Le penseur nous avertit qu'il ne faut pas avoir en vue "ces jeux en usage dans la vie réelle, qui d'ordinaire ne se rapportent qu'a des objets très matériels, (10) '"mais bien l'activite par laquelle l'homme est a meme de garder le juste milieu entre l'activite matérielle des sens, de la nature et l'activite formelle de l'intellect, de la moralité. Le jeu respecte certaines règles; mais celles-ci représentent une creation libre. Elles ne sont fixées ni par la necessite'naturelle ni par la loi morale. Dans le jeu, l'activite et la passivité sont réunies. L'homme se sent échapper à l'influence de la nature sensible et en meme temps la nature sensible agit selon sa propre loi. Dans le jeu il se détermine librement, il agit par lui-même, il est oriente par son penchant vers la forme et, en meme temps, l'instinct naturel est satisfait. Dans l'état de jeu, dont la creation artistique est la manifestation exemplaire, les impressions sensibles sont transfigurées pour se présenter devant les besoins spirituels et la raison confère aux choses les aspects voulu par les sens. Par la creation artistique, on ne règle plus un rapport du déterminant au détermine, mais une sphère de déterminations communes, que Schiller appelle la forme vive (Lebende Gestalt).

Le beau est vie, mais non dans le sens biologique, car la beauté ne s'étend pas a toute la vie biologique ni ne se limite a elle, car un marbre travaille par un artiste peut avoir une forme vive, et un homme, bien que vivant, peut ne pas etre une forme qui vit. (12)

La forme vivante exprimera la beauté, donc le jeu libre des facultes, la libre satisfaction de leur accord. Le beau est appelé forme vivante parce qu'il offre une forme a la matière et une réalité a la forme. En tant qu'image vivante (als lebendes Bild), le beau réduit la raison à l'intuition, la loi au sentiment.

L'homme est apte pour la beauté parce qu'il est apte pour le jeu et c'est par celui-ci qu'il est capable de satisfaire son aspiration a la plénitude "Une fois pour toutes, l'homme ne joue que la ou il est homme dans le pleine signification du mot, et il n'est homme complet que la ou il joue." (13)

Dans le libre jeu des forces, l'homme se manifeste dans toute son intégrité et totalite, ayant la faculté de prendre des décisions propres, faculté qui n'est pas réalisée tant que l'état esthetique ne subsiste pas. "Tant que l'homme, dans son premier état physique, se borne a recevoir passivement les impressions du monde matériel, a sentir, il est encore complètement identifie avec lui, et, précisément parce qu'il n'est encore que monde, ii n'y a pas encore de monde pour lui. C'est seulement lorsque, dans son état esthetique, il le pose hors de lui ou le contemple, que sa personnalite se distingue de l'univers et un monde lui apparait parce qu'il a cesse de ne faire qu'un avec lui." (14)

Le sens du beau conduit l'homme, d'une part, du monde des sens au monde des idées, du monde matériel au monde idéal et, d'autre part, du monde idéal au monde matériel, de la raison aux sens. Autrement dit, la culture esthetique libère l'homme de l'esclavage des sens, ainsi que du fardeau des lois morales. Elle confère à toutes les fonctions de l'homme la meme possibilité de développement par le fait meme de n'en favoriser aucune.

Persuade que les méthodes historiques et rationalistes sont les seules valables pour l'authentique comprehension de l'homme, Schiller pensait que l'expérience privilégiée que celui-ci a sa disposition pour se découvrir et s'affirmer soi-même c'est la creation artistique, un fait qui relevé de l'ordre historique et humain.

En pactisant avec le siècle, avec l'histoire, le penseur allemand adhérait totalement a la formule du Faust de Goethe: "Verweile doch!" (Arrête-toi, instant!), parce qu'il parlait encore du point de vue de l'homme moderne, qui croyait encore dans le privilège d'un pari essentiel. Schi1ler n'a pas compris, et il ne le pouvait pas à son epoque, le fait que la créativité dans le plan historico-humain déborde le cadre étroit de l'histoire.

'Il est arrive a une limite, propre a lui ainsi qu'a l'epoque ou il a vecu, écrivait Jung, qu'il lui a ete impossible de dépasser parce qu'il a rencontre partout~L'homme le plus laid invisible, dont la découverte allait etre réservée a nos temps et a Nietzsche." Les solutions offertes par quelques penseurs contemporains (C.G. Jung, M. Eliade, H. Corbin, G. Durand, etc.) aux problèmes de la connaissance et de la realisation de l'homme sont placées hors de l'histoire et meme contre elle. Ces penseurs, dont les adeptes sont de plus en plus nombreux, croient que la connaissance humaines doivent céder le pas a la reconnaissance d'une vérité dernière concrétisée dans les mythes et les archétypes ou l'homme, pour devenir ce qu'il est, a pris son point de départ.

En portant la marque indélébile de son temps, la conception de Schiller sur la realisation humaine restera toujours au centre des débats sur l'homme, grâce a sa comprehension profonde et aigue des contradictions qui marquent l'homme moderne et contemporain, ainsi que par ses considerations pertinentes sur les conditions d'etre de l'homme total, concret, synthèse des diverses déterminations. Plus encore, nous croyons pouvoir conclure qu'aujourd'hui, lorsqu'il semble que les conditions sont créées - dans le plan de la culture et de la civilisation, a l'échelle locale et universelle, pour que les déterminations duelles de l'homme, la nécessite et la liberte, l'extériorité et l'intériorité, le sensible et l'intelligible, s'harmonisent, lorsqu'on peut donc aspirer a vivre en résonance avec les exigences du Grand Temps~ originaire, lorsque l'evolution peut devenir auto-evolution, l'histoire - trans-histoire, les idées philosophiques de Schiller, d'une grande lucidité et profondeur, concernant les traits spécifiques et le destin de l'homme, constituent un repère plein d'espoir.

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