vendredi 4 mars 2011

Les syndicats et la mondialisation: le cas de la Tunisie Mohamed Ennaceur Ancien Ministre des Affaires Sociales

Les syndicats et
la mondialisation:
le cas de la Tunisie
Mohamed Ennaceur
Ancien Ministre des Affaires Sociales
Introduction
L'objet de cette étude qui s'inscrit dans le cadre du programme de recherche engagé par l'Institut
International d'Etudes Sociales sur les “Syndicats et la mondialisation est d'analyser les répercussions de la
mondialisation sur la stratégie, les programmes et les structures de l'organisation syndicale tunisienne:
L’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Mais il est difficile de comprendre les réponses de l'UGTT à la mondialisation sans se référer à l'évolution
historique de cette organisation syndicale, aux différents rôles quelle a assumés, et au contexte national dans
lequel elle se situe, tant il est vrai que le mode d’a daptation d'un e organisa tion sociale aux changem ents varie
en fonction de sa propre histoire, de ses traditions, de la richesse de son expérience, de son environnement
économique, social et politique.
C'est la raison p our laque lle cette étude p résenter a, dans une p remière partie et en guise d'introduction,
les principales données économiques, sociales et politiques de la Tunisie (A) et un bref rappel de l'évolution
de l'UGTT et des différents rôles qu'elle a joués durant les quarante premières années de son existence (1946
19 86) ( B).
La deuxième partie de l'étude portera sur la stratégie syndicale en Tunisie et, plus particulièrement, sur
les princip es de ba se et les ob jectifs de l'action syndicale, et les r appor ts des syndicats av ec les différents
acteurs politiques, économiques et sociaux.
La troisième p artie de cette é tude qui aura pour titre l'UGT T et la mond ialisation, sera consacré e à la
perception que l'UG TT a de la mondialisation et plus pa rticulièrem ent aux changemen ts qui en ont r ésulté
au niveau de ses programmes d'action et de ses structures.
La conclusion de l'étude fera ressortir les tendances et les perspectives de l'action syndicale en Tunisie.
2 Document du travail No. 120
1 En 1996.
2 3.2 % en 1956.
3 46 % on t moins de 20 an s et 8 % ont plus de 60 ans.
4 Source: Ministère de l’Education Nationale.
1. Les syndicats en Tunisie : Environnement et évolution
A) Données sur la Tunisie
Située au Nord de l’Afrique, la Tunisie a une superficie de 164.15 0 km2 et une population de
9 millions d’habitants1.
Royaume dépendant de l’Empire Ottoman, la Tunisie fut soumise au Protectorat français de
1881 à 19 56, dat e à laquelle elle acquit s on indépen dance.
A.1 ) Données démographiques
Elevé au lendemain de l’indépendan ce2, le taux de croissance démographique s’est
progressivement ralenti, grâce à une politique volontariste de planning familial et se situe en 1996
à 1,6 %3.
Bien que relativement jeune (âge médian : 22,4 en 1994), la population évolue dans le sens
d’une diminution du poids de la tranche d’âge (0 14 ans) qui pass e de 43,8 % de la population
en 197 5 à 34 ,8 % en 1994 alors qu e celle de la population active (15-59 ans) est en augmentation
(50,4 % en 19 75 et 56,9% en 1994).
Par ailleurs, et alors qu’elle était concentrée en majorité dans les Zones rurales (67 % en 195 6),
la popu lation vit de plus en plus dans les zones u rbain es (60 % en 19 94), et plus particulièrement
dans les zones côtières. C’est ainsi que plus de 1/5 de la population vit dans la région de Tunis (4)
(20,8 %) alors que 12,9 % sont concentrés dans le Sahel (5) et 8,4 % à Sfax.
La population active évolue à un rythme soutenu avec une participation de plus en plus
importante des femmes. De 19 75 à 199 4, elle est p assé e de 1.6 22.0 00 à 2.77 2.00 0, la p art de la
population féminine ayant plus que doublé durant la même période (303.000 en 1975 et 553.000
en 1994). Le taux d’activité des femmes est passé de 18,9 % en 1975 à 22,9 % en 1994.
En outre, la part des jeunes de moins de 25 ans dans la population active occup ée a tendance à
diminuer, du fait de la prolongation de la durée des é tudes et des difficultés d’a ccès à l’emp loi (28,6
% en 1975 et 22,9 % en 199 4).
Par ailleurs, le niveau scola ire de la main-d’oeuvre occupée a tendance à s’améliorer (Tableau
1).
Tableau 1 . St ructure de la population act ive occupée pa r niveau d’instruct ion (en % )
Niveau d’instruction 1975 1994
Analphabètes 56,6 24,0
Primaire 28,3 40,0
Secondaire 13,2 20,6
Supérieur 1,7 7
Ensemble 100 ,0 100 ,0
Sou rce : M inistère de la F orm ation Profes sionn elle et d e l’Em ploi.
Cette évolution est liée au développement de la scolarisation en Tunisie et au nombre de plus
en plus élevé de dip lômés qui accè dent au marché de l’emp loi.
C’est ainsi que le nom bre de bacheliers et diplômés de l’enseignement secondaire est passé de
9.212 en 1986 à 35.789 en 19974, alors que les effectifs des étudiants de l’enseignement supérieur
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 3
5 Source: Ministère de l’E nseignem ent Supérieur.
6 1 dollar US = 1 Dinar, 20
7 INS - 31/12/69
8 Médecin pour 1,5 40 habitants.
9 57 conven tions internationales du Travail ont été ratifiées
sont passés de 48.829 en 1984-85 à 137.024 en 1997-19985, et que le nombre de diplômés de
l’enseignement supérieur est passé de 4946 en 1981 à 15.549 en 1997.
Le taux du chômage est de 15.5 % en 1996, alors que 60 % des chômeurs sont âgés de 18 à 29
ans.
A.2) Données économiques
Le PIB aux prix courants de la Tunisie est de 18.967 milliards de dinars6 en 199 6.
L’activité économique est marqué e par la p répond érance du sect eur des services et par le nombre
élevé d’entreprises individuelles et de micro-entreprises.
En effet, sur 358.216 entreprises recensées en 19967 292.5 sont d es entrepris es individuelles et
57.946 sont des entreprises employant moins de 10 salariés. Environ 6.000 entreprises sont de petite
taille et emploient de 10 à 50 salariés, alors que 1245 entreprises emploient entre 100 et 999 salariés
et que 55 entreprises emploient 1000 salariés et plus. Plu s de 78 % des entreprises recensées
appartiennent au secteur des services a lors que 1 3.9 % appartiennent au s ecteur des indus tries
manufact urières et 0 .3 % à l’ind ustrie ext ractive.
La répartition de la population occupée en 1994 se présente comme suit : 43.1 % dans les
services, 34 .9 % dan s l’industr ie et 21.9 % dans l’Agriculture.
L’économie tunisienne est assez diver sifiée : l’agricultur e, les phosp hates et dé rivés, les
industries manufacturières et le tourisme constituent les secteurs les plus importants et leur
contribution est significative dans une économie de plus en plus tournée vers les ex portations. La
part de l’agriculture dans celles-ci est en effet de 7.5 % en 1996, celle des dérivés des phosphates
de 10.3 %, celle des industries manufacturières de 80.8 % alors que le tourisme contribue pour 16
% aux recettes courantes.
Le taux de cro issance de l’économ ie tunisienne était de 6.9 % en 1996 et a évolué en moyenne
à un taux de 4.2 % durant les dix dernières années. Le taux d’inflation était de 3.7 % durant l’année
1996.
Grâce aux encouragements par l’Etat, la contribution du secteur privé aux investissements
s’accroît de plus en plus et représente, en 1996 47.4 % de l’ensemble des investissements, l’Etat
gardant sa position de premier investisseur et le taux d’investissement global se situant à 24.1 %
du PNB.
La bala nce commerciale et la balance des paiements étant déficitaires, la Tunisie recourt souvent
à des empru nts ext érieurs et le taux d’end ettement était en 199 6 de 51 .4 % du PNB alors q ue le
service de la Dette extérieure était de 16.7 %.
A.3) Données sociales
Grâce à une politique sociale volontarist e, le niveau de vie des tunis iens est en p rogression et
la Tunis ie a été classée en 1993 à la 78ème place par le PNUD, selon l’indicateur de Développement
humain (0,727), avec une espérance de vie à la naissance de 68 ans8, un taux d ’alphab étisation des
adultes de 64 % et un taux brut de s colarisation de 66 %. Cependant, depuis cette date le taux de
scolarisation s’est beaucoup amélioré avec l’institution en 1995 de la scolarité obligatoire de 9 ans.
En outre, le taux de pauvreté a nettement reculé en se situant en 1996 à 8 .6 % de la population.
La Tunisie a un système de protection sociale et une législation sociale avancée9.
La politique contractuelle mise en oeuvre en 1973 a particulièrement développé les négociations
collectives, plus pa rticulièrement en ce q ui concerne la rép artition des fruits de la crois sance entre
le capita l et le trava il.
4 Document du travail No. 120
10 Loi du 8 avril 1976 et loi du 25 juillet 1998.
Le régime d e la Sécu rité So ciale couvre depuis 198 4 l’ensemb le des travailleurs , y compris ceux
de l’agriculture, les travailleurs indépendants et les professions libérales.
A.4) Données politiques
La Tunisie est une République (depuis 195 7).
A.4.1) Constitution et organisation politique
La Constitution tunis ienne promulg uée le 1er Juin 1959 et modifiée en 1976 et en 198810 a
institu é une démocrat ie représentative basée sur la souveraineté du peuple qui l’exerce par l’élection
libre directe et au suffrage universel du Président de la République et des députés.
La Constitution garantit les droits fondamentaux et les libertés publiques et fixe l’organisation
des Pouvoirs Publics.
L’intégrité de la Personn e, l’intégrité du domicile, le secret de la correspondance, la liberté de
déplacement et la liberté du choix de domicile sont garantis par les articles 5-12-13a et 10.
La liberté de pensée, la liberté de l’exercice du culte, la liberté d’expression de presse et de
publication, la liberté de réunion et d’associa tion et le droit synd ical sont gar antis p ar les articles
5 et 8.
Les pouvoirs publics
Le Pouvoir exécutif es t exercé p ar le Présid ent de la Rép ublique élu a u suffrag e universel et
assist é d’un gouv ernement dirigé p ar un Prem ier Ministr e.
Le Gouvernement est responsable devant le Chef d’Etat et devant le Parlement.
Le Parlement Tunisien est unicaméral. Il se compose de 163 députés é lus au s uffrag e univers el.
L’autorité judiciaire est indép endante
Les inst it ut ion s co nst it ut ion nelles
Le Conseil écon omique et s ocial est une instance constitutionnelle consultative, auprès du
Gouvernement et du Pa rlement. Il est consulté obligat oirement sur tout pro jet de loi à caractère
économique et social et sur les plans de développement. Il se compose de représentants désignés
des organisations syndicales des travailleurs et des employeurs ainsi que du mouvement associatif,
de représen tants é lus des collectivités régionales et locales et d’experts désignés en fonction de leur
compétence, de manière à refléter la diversité des opinions dans la Société.
Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois avec la Constitution, tandis que le
Conseil d’Etat contrôle par l’intermédiaire du Tribunal a dministratif la légalité des actes pris par
l’Administration Centrale, ré gionale ou locale et, p ar l’intermé diaire de la Cour des comptes, la
régularité de la gestion financière de l’Administration.
Les partis polit iques en Tunisie
De 1963 à 1983, l’activité politique était monopolisée par un Seul Parti, le Néo-Destour, devenu
en 1964 le Parti Socialiste Destourien et, depuis 19 88, le Rassemblement Cons titutionnel
Démocratique (RCD).
Actuellement, sept p artis po litiques exis tent et cinq d’ entre eux so nt représ entés au P arlement
et dans certains Conseils municipaux. Cependant, le RCD détient la grande majorité des sièges au
Parlement et dans les Conseils municipaux.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 5
11 20 janvier 1946.
12 Les motions de l'Assemblée constitutive de l'UGTT portent sur la conclusion de conventions collectives,
l'institution du régime de retraite, l'amélioration des allocations familiales et la création de conseils de prud'homm es.
13 Avril 1949.
14 Org ane legislat if don t les m embres son t dés igné s par le pou voir c olon ial.
15 Farhat Hached.
16 Article 8 de la Constitution.
17 25 juillet 1957.
B) L'évolution du mouvement syndical en Tunisie
Nationaliste dès sa constitution (B1), le mouvement syndical tunisien a évolué après
l’Indépenda nce en fonction de l’enviro nnement politique et économique du pays. Participatif durant
les quinz e prem ières anné es de l’Indépenda nce (B2), il devient de plus en plus revendicatif avec
la libéra lisation de l’économie (B3) et prend à un certain moment un caractère nettement
contestataire (B4).
B.1 ) Dès l'origine, les motivations des fondateurs du Mouvement S yndical tunisien ont été à
la fois syndicales et nationales. En effet, la constitution de l'organisation syndicale tunisienne
durant la période du Protectora t frança is répon dait à une volo nté de se dégager de l'emprise des
organisations syndicales fran çaises qui avaient leurs sections en Tunisie, et d’affirmer la spécificité
des revendications de la classe ouvrière tunisienne et ses aspirations non seulement à l'amélioration
de ses conditions de vie et de travail, mais aussi à la dignité et à la liberté.
Créée il y a plus de cinquante ans11, l'UGTT affirme d'emb lée son caract ère de mouvement
syndical indépendant, sa vocation nationaliste et intègre son action dans le cadre du Mouvement
de Libération N ationale. Ses revendications qui sont au d épart essentiellement s yndicales12 évoluent
rapidement et revêtent dès le 3ème congrès13, une dimensio n politique inc ontestable . On y trouv e en
effet, à côté des revendications traditionnelles, d'autres revendications plus générales et plus
politiques telles que “le relèvement du niveau social et intellectuel du Peuple par l'instruction
obligatoire, le rempla cement du Gran d Cons eil14 par une Assemblée Nationale élue, la constitution
d'un "Minist ère avec les pouvoirs qui s'attachent à une formation gouvernementale démocratique
respo nsab le de ses actes" . Deux ann ées plus tard, l'UGTT étab lit et diffuse son programme dans
lequel on peut lire qu e "la disp arition du régim e colonialis te est la condition sine qu a non de la
réalisation des aspirations des masses dans tous les domaines de la vie" et que "l'objectif de
libération nationale et de progrès social est et demeure un et indivisible".
L'engag ement de l'UGTT dan s la lutt e pour la libéra tion nat ionale s'est concrétisé non seulement
par la formulation de revendications politiques , mais aussi par une participation active à l'action
politique et à la direction du mouvement de libération nationale, ce qui a eu, entre autres
conséquences, l'assassinat en Décembre 1952 du fondateur et chef du mouvement syndical
tunisien15 par une organisation terroriste colonialiste, et l'emprisonnement de plusieurs dirigeants
syndicaux.
B.2) Au lendem ain de l'In dépend ance, l'UGTT qui a payé un lourd tribut à la libération
nationale, s'est trouvée associée à la mise en place des institutions et des structures du nouvel Etat
tunisien.
A l'Assemb lée Constituan te, élue au suffra ge univers el, l'UGT T a p articip é à l'élab oration de la
première Constitution tunisienne, qui consacre les droits politiques, économiques et sociaux
fondamentaux et qui garantit le droit syndical ainsi que les libertés de réunion et d'association16.
C'est cette même Assemblée, dont le s ecrétair e génér al de l'UGTT était le v ice-Prés ident, qui a
destitu é le Bey et ins titué le r égime républicain17.
L'UGTT participa également au 1er gouvernement de la Tunis ie indépendan te et, durant les 4
premières années de l'Indép endance, p lusieurs textes législat ifs et ré glementa ires à caractère social
6 Document du travail No. 120
18 Union tu nisienne de l’Indu strie , du Com merce et de l’Artisanat (U TICA).
19 150 en 1972 - 452 en 1977.
20 Parti Socialiste Des tourien (P .S.D.)
21 En 19 81, suite au congrès extraordinaire de Gafsa.
furent promulgués, notamment le Statut des ouvriers agricoles (1956), l'Organisation de
l'Apprentissage et de la Formatio n prof essionnelle (19 56), les Sta tuts d es Syndica ts pr ofess ionnels
(1959), l'Organisation des Services de l'Emploi (1960), l'institution des Comités d'Entreprises, de
la Sécurité Sociale et du régime de Retraite dans le secteur non agricole (1960).
Durant les années 60, le gouvernement adopta une politique de dirigisme économique et
entreprit un e expérience de collectivis ation dans le domaine du comm erce et de l'agriculture.
Durant la même période, des divergences apparurent au sein de l'équipe dirigeante de l'UGTT
concernant l'attitude à adopter à l'égard de la politique du gouvernement et sur la nature même de
l'action syndicale, qui devait être essentiellement revendicative pour les uns et participative pour
les autres. Après un changement à la tête de sa direction, l'UGTT adopta une attitude d'appui aux
choix économiques et sociaux du gouvernement jusqu'à l'arrêt de l'expérience de collectivisation
en 1969. Durant cet te période, le cara ctère revendicatif des syndicats était en veilleuse et les grèves
étaient rares sinon inexistantes.
B.3) A partir de 1970, le gouvernement tunisien adopta une politique de libéralisation
progressive de l'Economie et appela les organisations d'employeurs et de travailleurs à une
concertation permanente avec l'Etat dans le cadre du "Contrat de Progrès", concertation portant
à la fois sur les objectifs nationaux du Développement et sur la r épartition des résultats de la
crois sanc e.
Cette nouvelle p olitique contrac tuelle s'est traduite s ur le plan so cial par le dévelop pement des
négociations collectives entre l'UGTT et l'Organisation tunisienne des employeurs18, qui aboutirent
à la conclus ion de plu sieurs conventio ns collectives sectorielles. Parallèlement, l'UGTT négocia,
avec les repr ésent ants de l'Etat, le Statut de la Fonction Publique et celui des entreprises nationales.
Tout en appuyant les choix économiques du gouvernement, l'UGTT développa durant cette période
ses activités revendicatives et les grèves augmentèrent en nombre et en intensité19.
La hausse des prix et la détérioration du pouvoir d'achat des travailleurs s alariés, ain si que les
mesures de licenciements abusif des cadres syndicaux dans les entreprises furent à l'origine de ce
mouvement revendicatif qu i caractérisa l'action syndicale dura nt les anné es 70.
B.4) Par ailleurs, la prédominance du Parti unique20 sur la scène po litique et l'absence d e voix
d'expression organisées et légales de l'opposition ont fait converger vers l'UGTT les opposants et
les mécontents de tout bord et ont contribué à développer au sein de cette org anisation s yndicale
la dimension c onte stata ire.
Malgré la conclusion d'un “Pacte Social en 1977 avec le Gouvernement et le Patronat en vue
de préserv er la paix s ociale, en contre-pa rtie d'une révision automatique des salaires en fonction de
l'augmentation du coût de la vie et malgré une augment ation sub stantielle des s alaires, l'action
syndicale, mue par des considérations à la fois sociales et politiques, débouche en 1978 sur une
grève générale, des manifestation s sanglan tes et une crise ouver te avec le Gouvernem ent.
Cette première crise entre l'UGTT et le gouvernement a affaibli momentanément l'organisation
syndicale, dont la plupart des responsables furent traduits en justice et emprisonnés.
Après leur libération et la normalis ation de l'activité syn dicale21 la direction de l'UGTT mont ra
une certaine réticence à l'égard de toute forme de participation politique qui reviendrait à
cautionner la politique du Gouvernement.
C'est ainsi que la participation de l'UGTT aux élections législatives en 1982 sur une même liste
que le Parti a u pouv oir a don né lieu à une scission au sein du mouvement syndical et à la création
de l'UNTT. L'UGTT continua son activité essentiellement revendicative en proclamant son
indépenda nce à l'égard du Parti au pouvoir, mais sans renoncer à son caractère contestat aire et
fortement p olitique.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 7
22 547 délégués au dern ier congrès, à raison d’un délégué pour 600 adhérents, pour une pop ulation salariée
de 1.628.000 selon les statistiques de l’INS de 1994.
23 70 % dan s la cimenterie de l’Enfida.
24 Chaq ue cycle d’enseigne ment ayan t son propre syndicat.
Malgré des augmentations substantielles des salaires durant les années 19 82 et 1 983, et
l'extens ion de la sécurité sociale aux travailleurs du secteur agricole, les tentatives du gouvernement
de relancer la co ncertat ion avec l'UGTT sur d'impo rtant s doss iers d'ord re économ ique et s ocial tels
que l'Em ploi, la F iscalité et la rest ructura tion des entrepr ises na tionales , n'ont p as ab outi.
Les revendications de l'UGTT ont été jugées excessives par le gouvernement et considérées
comme des prétextes pour l'affaib lir politiquemen t. Une nouvelle crise ou verte avec le
gouverneme nt aboutit en 1985 à une autre scission au sein même de l'UGTT, au démantèlement de
ses structures, à une baisse considérable de ses ressources et à un affaiblissem ent de sa p résence
sur la scèn e nationale.
Ce n'est que depuis 1989 que l'UGTT a pu recouvrer son unité et reprendre sa place comme
représen tant uniq ue des trava illeurs en Tunis ie.
C) Données sur la présence syndicale en T unisie
Les premiers syndicats tunisiens se sont constitués avant l’Indépendance, dans des activités à
forte concentration de main-d’oe uvre tunisienne, mais dont le capital et l’administration étaient
détenus par la France, Puissance occupante. L’Etat tunisien avait en effet concédé à des sociétés
étrangè res un certain nombre de services et d’activités économiques, qui employaient une maind’oeuvre
indigène impo rtante : les mines , les chemins de fer, l’électricité, les domaines agricoles
à l’Enfida. Des syndicats tunisiens se sont également créés dans l’enseignement et dans les PTT,
ce qui fait qu’au lendemain de l’Indépendance, c’est dans les services pu blics et dans les entrepris es
appartenant autrefois aux capit aux ét rangers et n ationalisé es depuis, q ue les syndicats étaient les
plus influents et que le s tradition s syndicales é taient les mieux enracinées. Et c’est à pa rtir de ces
«pôles» d’activité que l’action syndicale s’est progressivement propagée, tout en restant limitée
dans certains secteurs (agriculture) et dans certaines régions où l’activité économique était à
préd ominance agricole (Nord Nord Est et Sud). Toutefois, avec la politique de décentralisation
indust rielle engagé e par le G ouvernem ent tunis ien à pa rtir des années soixa nte, l’act ion syndica le
s’est étendu e à tout es les ré gions de la Tunisie avec cependant une forte présence dans les régions
côtières à grande concentration industrielle : Tunis, Sfax, Sousse, Monastir, Gabès et Bizerte. Les
centres miniers de la région de Gafsa constituent également un des bastions du synd icalisme en
Tunisie.
Si le taux de syndicalisation est actuellement de l’ordre de 20 % sur le plan national22 il est
beaucoup plus élevé dans les ent reprises p ubliques telles que les chemins de fer (67 %),
l’électricité, les cimenter ies23, les transports routiers et les mines.
L’UGTT est également particulièrement influente dans les secteurs de l’enseignement24, des
PTT, des transports aériens, des ports.
Dans sa stratégie, elle a constamment cherché a être présent e là où il y a des travailleurs salariés,
mais elle n’hésite pas à se présenter comme porte-parole de travailleurs non salarié s, lorsqu e ceux-ci
ne sont pas organisés ou lorsqu’ils appartiennent à un secteur névralgique où les grèves ont un
retentissement particulier au niveau de l’opinion publique et de la population.
Il en est ainsi du Marché de gros de la ville de Tunis, où la coopérative des déchargeurs payés
à la part a été créé e par l’UG TT et est resté e sous so n influence.
Dans le secteur privé, c’est dans les entreprises textiles où prédomine la main-d’oeuvre féminine
que le taux de synd icalisation est le plus élevé. C ependant , l’objectif de l’UGTT : «un syndicat par
entreprise» est loin d’être atteint. Avec l’affaiblissement du mouvement syndical au milieu des
années 80 s uite au con flit syndica t-gouv ernement , plusieu rs entr eprises privées ont licencié le s
dirigeants syndicaux au prix d’indemnités et de dommages intérêts élevés auxquels les ont
condamné les Tribunaux.
8 Document du travail No. 120
25 Travailleurs «indépendants» qui accomplissent tous les travaux d’irrigation, de taille, d’entretien et de
cultu re de s palm iers d attier s et q ui so nt p ayés a u cin qu ième de la p rodu ction . Ils vive nt su r les prom ets q u’ ils
cultivent et exploitent pour leur propre compte les cultures maraîchères qu’ils font dans les oasis.
En outre, la présence syndicale est plus faible dans le secteur du tourisme où l’activité est
saisonnière et dans le secteur agricole pour les mêmes raisons. Toutefois des Syndicats se sont
implanté s dans les fermes d’Et at qui emp loient une main-d ’oeuvre p ermanente.
Les efforts de l’UGTT pour prendre en charge la défense des intérêts des «Khammassa25» forme
tradit ionnelle de métayage fort répandue dans les palmeraies du Sud tunisien, ont échoué devant
l’opposition de l’Union des Agriculteurs et du Gouvernement qui contestaient la qualité de salariés
aux travailleurs employés dans ces régions ag ricoles et payés à la part . Elle a réuss i par contr e à
organiser les pêcheurs de Sfax, payés à la part, dans une coopérative qui tout en étant indépendante
est restée sous l’influence de l’UGTT.
Ceci étant, l’UGTT est implantée dans chacun des 23 chefs-lieux de Gouvernorat (préfectures),
où elle dispose d’une union régionale, et dans une centaine des 250 délégations (sous-préfectures)
où elle dispose d’u ne union locale, le rôle de ces un ions étan t de susciter la créat ion de nouveaux
syndicats tout en assistant ceux qui existent dans leurs activités.
Pour résumer, on peut dire que l’UGTT est p résente dans tout es les r égion s du p ays et dans tous
les secteurs de la vie économique, mais q ue son inf luence est p lus imp ortan te dans le secteur p ublic
que dans le secteur privé.
***
Après cet aperçu de l’environnement économique, so cial et po litique de l’ action s yndicale, le
rapp el de l'évolution du mouvement syndical tunis ien nation aliste et part icipatif à ses d ébut s, puis
indépendant, revendicat if et de plu s en plu s contes tatair e et la présent ation de qu elques donn ées sur
la présen ce syndicale en Tunis ie, il convient d'examiner en profond eur, dans un e deuxième p artie,
la portée et le contenu de la stratégie syndicale, et plus particulièrement les fon dements et les
principes de base de l'action syndicale, ses objectifs et les relations de l'UGTT avec les différents
acteurs politiques, économiques et sociaux.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 9
2. Portée et objectifs de la stratégie syndicale en T unisie
Depuis sa création, l'UGTT s'est définie comme une organisation syndicale qui agit au niveau
des employeurs pour obtenir l'amélioration des conditions de vie et de travail des salariés, et au
niveau des pouvoirs p ublics pour promouvo ir et défendre un projet de société q ui favorise la
réalisation des aspirations des "masses laborieuses" à la dignité, à la justice et au progrès.
Cette straté gie repose en fa it sur une concep tion large de l'action syndicale qui mérite d'être
analysée, dans ses fondements (I), ses objectifs (II) et sa mise en oeuvre à travers les ra pport s des
syndicats avec les différents acteurs politiques, économiques et sociaux (III).
A. Les principes de base et les fondements de l' act ion syndicale
Tout en se définiss ant comme une organisa tion essent iellement syndicale, l'UGTT se distingue
des organisations syndicales trad itionnelles par une conception exten sive de son rôle d ans la
société, ce qui se traduit par un certain nombre de principes de base. Ces principes, qui constituent
les fondements de son a ction, so nt :
A.1) L'amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs est indissociable du progrès
de l'ensemble de la S ociété.
En fait ce p rincipe sous-entend deux affirma tions : La première est que la condition des
travailleurs salariés est indissociable de celle des autres travailleurs.
A ce propos , l'UGT T, comme s on nom l'indiqu e, ne se considère pas seulement comme une
organisation des salariés, mais comme celle du travail et de l'ensemble des travailleurs.
En effet, au moment de sa création en 1946, l'UGTT a réuni aussi bien les syndicats de salariés,
des employés, des fonctionnaires et enseignants que ceux des artisans et petits commerçants,
comme par exemple, le syndicat des détaillants en textiles, le syndicat des vendeurs et réparateur
de cycles, le syndicat des épiciers et petits commerçants de l'alimentation.
La deuxième affirma tion est que les tra vailleurs, ceux qui viven t du produ it de leur travail,
constituent les "masses laborieuses" et que leurs a spirations se confondent par conséquent avec
celles de la Société dans son ensemble.
Cette association des revendications des travailleurs salariés avec celles de la société a donné
à l'action syndicale tunisienne un contenu qui dépasse largement les revendications traditionnelles
des syndicats et qui concerne par conséquent non seulement les employeurs, mais aussi et surtout
les pouvoirs publics en tan t resp onsab les de la s atisfa ction des besoin s fondamentau x de la
population. C'est ce qui explique la dimension à la fois sociale et politique de l'action s yndicale et
qui fait que l'UGTT s'intéresse toujours à tout ce qui concerne la politique sociale du gouvernement
: l'éducation, la santé publique, l'habitat, la jeunesse, les transferts sociaux.
Bien plus, en liant la défense des intérêts des trava illeurs salariés à celle des “m asses
labor ieuses et de la population en gén éral, l'UGTT établit la liais on de l'action syndica le avec
l'action politique et s itue ses revendications au niveau non seulemen t de l'amélioration immédiate
des conditions d e vie et de travail, mais aussi de la préparation des conditions d'un avenir meilleur,
et d'un prog rès socia l durable.
Ainsi, l'a ction syn dicale en Tunisie, loin d'être chaotique comme le laisse supposer son évolution
durant les quarante premières années de son existence, est mue par un certain nomb re de constan tes
dont celle de chercher à promouvo ir la condition des travailleurs à travers le prog rès de l'ensemble
de la société.
Cette constante dans la stratégie syndicale est perceptible à travers les congrès successifs de
l'UGTT. Très tôt, au lendemain de la création de l'UGTT, cette stratég ie a été déf inie dans ces
termes par Farhat Hached, fondateur de cette organisation : “Le mouvement syndical tunisien…
s'intéresse particulièrement à tout ce qui concerne le prog rès socia l, le développem ent de la famille,
la santé et l'avenir des jeunes, l'éducation des couches populaires dans to us les domaines. En
d'autres termes, il est à l'éco ute des r evendicat ions, il ex prime la colère des mécont ents ; il es t le
10 Document du travail No. 120
26 Conférence au siège de l'Association des Etudiants musulmans nord-africains (AEMNA), Paris 1948 -
citée par Archives de l'UGTT.
27 Création de l’UTT en octobre 1956.
28 Création de l’UNTT - 18 février 1984.
29 Avril 1989.
30 Discours de F. Hached au congrès de l’AFL-CIO - Los Angeles, 24/9/1951. Archives de l’UGTT.
porte -par ole authentiq ue des asp irations de la cla sse laborieuse dans le pays ; il veille à ses intérêts
immédiats et lui prépare l'avenir 26
Près de cinquante ans après, cette vision d'une organisation syndicale, ayant des responsabilités
nationales, et qui ne limite pas son action à la défense des intérêts immédiats des travailleurs
salariés, mais aus si « à l’édification d e l’avenir du pa ys » a été encore ra ppelée par le Secrétaire
Général de l'UGTT à l'occasion de son dernier Congrès .
A.2) La force de pr ession et de pers uasion des syndicats dép end de leur un ité.
“L'unité fait la force , telle est la devise de l'UGTT depuis sa création.
Tout au long de son existence, elle a lutté en effet pour unir l'ensemble des trava illeurs manuels
et intellectuels et pour être leur seul représentant tant au niveau national qu'au niveau de
l'entreprise. Cette unité syndicale a confér é d'abor d à l'UGT T une fort e capacité de propo sition et
lui a perm is, grâce à la présence parmi ses membres de cadres enseignants, de participer activement
aux discussions relatives aux choix et aux orientations économiques et sociales du Gouvernement.
Par ailleurs, cette unité syndicale a donné à l'UGTT une présence et une grande capacité de
mobilisation des travailleurs dans tous les secteurs, ce qui fait que les grèves, lorsqu'elles se
déclarent, sont capables de paralyser des activités névralgiques et particulièrement sensibles.
En outre, l'unité syndicale a accrédité l'UGTT en tant que seul et unique représentant des intérêts
des travailleurs, ce qui en a fait non seulement l'interlocuteur unique des employeurs et du
gouvernement mais, pour ce dernier, un allié po litique de taille dont l'appui est particulièrement
précieux et continuellement recherché.
Enfin, cette unité a donné à l'UGTT un p oids considérable, non seulement dans les négociations
collectives mais aussi sur la scène politique, notamment durant la période marquée par la
prédominance du Parti unique qui, tout en cherchant à s'assurer son alliance, craignait son hostilité
et surtout sa capacité de mobilisation de l'opposition.
C'est ce qui explique que, durant les crises qui ont secoué l'UGTT tout au long des quarante
premières années de son existence, les dissensions avec le gouvernement ont favorisé les tenta tives
d'affaiblissement de la représentativité de l'UGTT à travers des scissions encouragées par le Parti
au pouvoir, en 195627 et en 198428. Si la première scission a été vite surmontée et a eu des effets
limités, la seconde a eu des effets désastreux sur l'action syndicale et l'UGTT n'a retrouvé son unité
que cinq an s aprè s, à l'occasion du congrès d e la “reconst ruction syndicale 29.
A.3) Liberté et justice sociale sont les leviers du progrès social.
Tout en liant l'améliora tion des condit ions de vie et de travail des travailleurs au progrès de
l'ensemb le de la société tunisienne, l'UGT T a p ris cons cience, dès sa cons titutio n, du fait que le
progrè s social imp lique le respect des libertés et la promot ion de la justice socia le.
“La vérité, disait à ce propos le fondateur de l'UGTT, est que notre mouvement syndical
s'intègre dans le combat national pour la libération , pour le dr oit démocra tique, pou r le
respect des droits de la personne humaine, pour l'amélioration de la condition ouvr ière, le
Progrès Social, le relèvement du standing de vie des masses… 30.
Cette association du P rogrès S ocial à la défens e des libertés et à la prom otion de la just ice
sociale est constamment rappelée dans les objectifs et les programmes de l'UGTT et revient comme
un leitmotiv à l'occasion de ses différents congrès.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 1 1
31 Mars 1963.
32 Décembre 1993.
33 19ème Congrès, 6-7 Avril 1999 - Rapport du Secrétaire Général, p. 5.
C’est ainsi q ue le 5ème congrès qui s'est tenu en Juillet 1954, deux ans avant l'indépe ndance, a vait
pour devise : “Pour les libertés démocratiques, l'indépendance de la Tunisie et la justice sociale .
Neuf ans plus tard, la devise du 9ème congrès31 était pratiq uement identiq ue : “Pour la justice sociale,
la démocratie économique et la liberté .
Aujourd'hui encore, l’UGTT cont inue à lier le p rogrès social au x libert és et à la justice s ociale
et à intégrer ces concepts dans ses objectifs et ses programmes.
Dans son récent rapport au 18ème congrès32, le secrétaire gén éral de l'UGTT disait à ce propos:
“Le phénomène essentiel que nous observons dans la société est celui de la marche vers plus de
démocratie et vers l'extension des libertés, et ceci coïncide parfaitement avec nos objectifs de
justice sociale et de prospérité pour tous .
Pour une organisa tion syndicale qui oeuvre po ur l'améliorat ion des condition s maté rielles et
morales des tra vailleurs et pour le progr ès so cial en gén éral, il est évident que son action ne peut
s'exercer que dans un ordre politique et social qui garantit et consacre les libertés, et plu s
particulièrement les libert és synd icales : celle de s'associer, celle de se réunir, celle de négocier,
celle de recourir à la grève le cas échéant.
L'UGTT, à l'occasio n de sa p articip ation à l'Assemblée Constituante, a contrib ué à inscrire ces
libertés p armi les libert és collectives et indiv iduelles garant ies par la C onstitut ion tunisienne.
Tout au long d e son ex istence, elle a lutté p our leur co ncrétis ation sur le t errain, au sein de
l'entrep rise et da ns la s ociété en génér al.
Cette lutte aboutit en 1973, à l'occasion d'une conjoncture politique et économique favorable,
à la signature d'une Convention Collective-Cadre conclue avec le patronat et qui étend le champ
des négociations collectives aux salaires, jusqu'ici fixés par décrets, tout en consacrant dans les faits
les libertés syndicales.
Par ailleurs, la promotion de la justice sociale est une des raisons d'être du mouvement syndical
et l'UGTT l'a toujours considérée comme l’un de ses objectifs prioritaires.
En prôna nt un ordre é conomique et social mû pa r la just ice sociale, l'UGTT va p lus loin q ue la
rémunération équitable du travail. La justice sociale implique, en effet, une redistribution par l'Etat
du revenu national à t ravers les tran sferts sociaux et la fisca lité. Co mme le rap pelait récemment le
secrétaire général de l'UGTT :
“Loin des idéologies, nous restons attachés à un ordre économique qui permet de repartir
les richesses avec le maximum d'équité, car la prospérité, à nos yeux, ne peut en aucun cas
se construire par la p rivation d'une p artie de la soc iété au pro fit d'une autre. Nos principes
nous amènent à croire encore plus profondément au fait que l'Etat a été créé pour propa ger
la justice et l'égalité et la sauvegarde d e la paix sociale et la protection des catégories
sociales les plus vulnérables.
Et c'est de là que provient notre attachement à l'Etat en tant que facteur de régulation
sociale, et principal responsable d'une distribution équitable des richesses du pays entre les
catégories et les membres de la Société 33
Ces principes de base qui constituent les constantes de la stratégie syndicale ont continuellement
imprégné l'action syndicale et déterminé ses objectifs.
B) Les objectifs de l' act ion syndicale en Tunisie
Les objectifs que l’UGTT a a ssigné à son action, du fait de son histoire, des diff érents rô les
qu'elle a assumés, se situent à plusieurs niveaux, à savoir :
1) peser sur les orientations et les choix du gouvernement en matière de développement
économique et social; 2) représenter et défendre les intérêts des travailleurs; 3) améliorer les
conditions de travail et le niveau de vie des travailleurs; 4) participer à la promotion des ibertés,
12 Document du travail No. 120
34 Décembre 1955.
35 Parti qui conduisait le mouvement de Libération Nationale.
36 L’Un ion Tun isienne de l’Industrie du C ommerce et de l’Artisanat (UT ICA).
37 Salaire M inimum Inte rpro fess ione l Gara nti et Salaire M inimum Agric ole G aran ti.
de la démocratie et des droits de l'homme; 5) sauvegarder son unité, sa représentativité et son
indépendance.
B.1) Peser sur les grands choix du gouvernement en matière de développement
Quelle que soit la nature de ses relations avec le parti au pouvoir, l'UGTT a toujours participé
aux choix du gouvernem ent et à ses orientat ions en m atière d e dévelop pement économique et social.
Déjà à la veille de l'Indépenda nce34 le congrès du néo-destour35, auquel avaient particip é
activement plusieurs leaders du mouvement syndical membres de ce parti, avait adopté un
programme économique et social large ment ins piré de ce lui de l'UGTT, qui fut mis en oeuvre par
le gouvernement d urant les 1 3 premiè res années de l'Indépendan ce.
Durant les années 70, lorsque le gouvernement changea d'orientation économique et sociale et
substitua à la politiq ue de dirigisme écon omique une p olitique contractuelle plus libérale, l'UGTT
et l'organis ation p atron ale36 devinrent des partenaires de l'Etat dans la nouvelle politique
contractuelle et continuellement invités par le gouvernement à se concerter entre elles et avec lui
sur les objectifs nationaux du développement, et sur la répartition des résultats de la croissance,
alors que jusque là le gouvernement décidait seul et conduisait seul la politique économique et
sociale.
La participa tion de l'UGTT aux orientations et aux choix du gouvernement en matière de
développement économique et social, se faisait, jusqu'au milieu des années 80, au niveau du
Parlement au sein duquel elle disposait d'un certain nombre de sièges.
Aujourd'hu i, la représen tation de l'UG TT au sein du Pa rlement s'est notablem ent affaib lie.
Cependant, si la représentation de l'UGTT est pratiquement inexistante au sein du Parlement,
elle est plus importante et plus effective au sein du Conseil Economique et Social qui est une
institution consultat ive prévue p ar la Cons titution, à laq uelle les projets de lois à caractère
économique et social, ainsi que les plans de développement économique et social sont
obligatoirement soumis pour avis, avant d'être examinés par le Parlement.
En outre, l'UGTT est membre du Conseil N ational du Plan qui arrête les grandes orientations
économiques et sociales de chaque plan quinquenna l. Elle est également représen tée, ainsi q ue les
organisations d'emplo yeurs à la Commission N ationa le du Dialo gue Socia l, au sein d e laquelle sont
négociées les augmentations du SMIG et du SMAG 37 et les principales orientations concernan t les
conventions collectives.
C'est donc par sa participation à ces différentes instances consultatives que l'UGTT est
constamment présente et participe activement à l'élaboration de la politique nationale de
dévelop pement économique et social.
B.2 Déf endre et représenter les intérêts matériels et moraux des travailleurs auprès
du gouvernement, des employeurs et de l'opinion publique
B.2.1) Le gouvernement est le principal partenaire de l'UGTT d’une part, parce qu'il est le plus
grand employeur et, d'autre part, du fait de sa fonction politique de régulateur de la vie économique
et sociale et de principal source des textes législatifs et réglementaires.
En effet, c'est au niveau du gouvernement que l'UGTT agit pour l'amélioration de la protection
sociale, des salaires et des avantages soc iaux des travailleurs en général. Mais c'est aussi avec lui
que l'UGTT négocie les dispositions réglementaires relatives aux statuts s pécifiques des
fonctionnaires de l'Etat et du p ersonnel des é tabliss ements p ublics, des collectivité s régiona les et
locales et des entreprises publiques.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 1 3
38 Union Tu nisienne de l’Agriculture et de la Pêche.
39 Les Conventions C ollectives Sectorielles existent seulement dans les secteurs non agricoles (Industrie,
Commerce et Services).
40 Les Personnels des Entreprises publiques sont régis par des statuts qui font l'objet de révisions périodiques
après concertation avec les syndicats.
41 Farhat Hached a été assassiné le 5 décembre 1952.
42 Echaâb (Le Peu ple), journal hebdomadaire.
Les syndicats sont égalemen t les vis -à-vis du gouvernement en tant que respons ables du contr ôle
de l'application de la législation du travail et des conventions collectives, de la conciliation en
matière de conflits collectifs du travail et de la supervision des négociations collectives.
B.2.2) Les autres interlocuteurs de l'UGTT sont les organisations d'employeurs dans les secteurs
de l'industrie du commerce (UTICA) et dans ceux de l'agriculture et de la pêche (UTAP)38, avec
lesquelles elle négocie périodiquement les améliorations des salaires minima (SMIG et SMAG)
ainsi que les convent ions collectives sect orielles39. Ces négociations ont lieu tous les trois ans sous
l'égide du gouvernement et la révision des salaires et des conventions collectives secto rielles se fa it
en fonction de l'aug mentation du coût de la v ie et de la croissan ce économiqu e.
Le Code du Travail a prévu la possibilité de négocier des conventions collectives au niveau de
l'entreprise ; mais da ns la pra tique, les nég ociations collectives demeurent centralisées au niveau
national et sectoriel. De ce fait l'entreprise privée40 se trouve trè s souvent exclue de la sphère des
négociations collectives, se contentant d'appliquer un système de rémunération et des conditions
de travail qui sont fixés en dehors d'elle, par les conventions collectives sectorielles.
Néanmoins, l'action syndicale s'ex erce au sein de l'entreprise où existe un syndicat de base ou
un délégué syndical, et porte davantage sur le contrôle de l'a pplica tion de ce qui est p révu p ar le
code du travail, par les statuts ou par les conventions collectives sectorielles que sur l'amélioration
des salaires et des conditions de travail au s ein de l'entreprise.
Par ailleurs, le syndicat de base exerce un certain contrôle sur les mesures disciplinaires à travers
les comités consult atifs d'entrepris e où il est représ enté, et d éclenche les g rèves en cas de con flit
collectif avec l'employeur, ap rès accord d e la Centrale S yndicale.
Il y a lieu de rappeler q ue l'UGT T a con stam ment lut té po ur conserver le mon opole de la
représentation des intérêts des travailleurs au sein de l'entreprise. C'est ainsi que les comités
d'entreprises, créés en 1960, et compos és des représentants élus des cadres et des salariés, “dans une
perspective d'association progressive du personnel à la gestion et au développement de l'entreprise ,
ont rencontré l'hostilité non seulement des employeurs mais aussi des syndicats. Ils ont été
remplacés en 1994 par les “comités consultatifs d'entrepr ise , organis mes par itaires, dont les
membres sont élus mais dont les attributions sont essent iellement consultatives et nettement
différenciées de celles des syndicats qui demeurent l'unique représentant des intér êts des
travailleurs au sein de l'entreprise et les seuls habilités à présenter les revendications et à négocier
avec l'employeur.
B.2.3) Tout en maintenant et en renforçant sa position d'interlocuteur unique du gouvernemen t et
des employeurs, l'UGTT s'est employée à accréditer auprès de l'opinion publique nation ale et
internationale son image de seul représentant des travailleurs.
En effet, dans l'opinion publique nationale, l'UGTT jouit d'un grand prestige du fait de sa
contributio n à la lutte pour la libération nationale. Chaque année, l'anniversaire de l'assassinat de
son fondateur41 est célé bré p ar une cérémonie officielle pr ésidé e par le C hef de l'Et at et à la quelle
participent les membres du gouvernement, les responsables syndicaux et les représ entant s des p artis
politiques.
Par ailleurs, l'UGTT a acquis l'ima ge d'une organis ation syndica le agissant e et proche des
préoccupations populaires. Ses activités sont relatées dans son propre organe de presse42 et dans les
différents médias.
14 Document du travail No. 120
43 Décret du 11 décembre 1936.
44 M. Enn aceur - “La politique sociale de la Tunisie depuis l’indépendance , dans “Travail et
Développement , No. 10, 1987.
45 Rapport général au 19ème Congrès - avril 1999.
B.3) Améliorer les condit ions de travail et le niveau de vie des travailleurs
La défense des intérêts matériels et moraux des trava illeurs par un e organisation syndicale
unique et représentative s’est concrétisée par l’amélioration progr essive d es condit ions de t ravail
et du niveau de vie des travailleurs salariés.
En effet, si l’a méliora tion des condition s de tra vail des t ravailleurs sa lariés a commencé durant
la période du protectorat français et a bénéficié notamment de l’a vènement du Front p opulaire en
France (durée hebdomadaire du travail et congés annuels payés)43, c’est après l’Indépendance que
les «conquê tes synd icales et les acquis sociaux » ont été les plus importants . On peut citer,
notamment: l’insertion du droit syndical parmi les droits garantis par la Constitution de 1959,
l’institution du SMIG et du SMAG et l’instaur ation de négocia tions co llectives en 1973 et 1974,
dans le cadre de la politiq ue contractuelle, q ui permetten t la prés ervation du p ouvoir d’acha t des
trava illeurs sa lariés et un par tage né gocié des fruits de la crois sance ent re le capit al et le tra vail.
Certes, durant la première décennie de développement (1960-19 70) marquée pa r une
planification rigide et par la collectivisation des moyens de production, le pouvoir d’achat des
trava illeurs salariés n’a pas connu d’amélioration significative. Cependant, la nouvelle politique
contractuelle instaurée au début des années 70 a p ermis une amélioration substantielle du niveau
de vie des travailleurs salariés, le salaire moyen ayant augmenté de 10,7 % en moyenne par an au
cours de la décennie 1970-1980, de 24.5 % en 1982 et de 14.4% en 198344.
Cette augmentation du salaire moyen durant la 2ème décennie de développement reste cependant
inférieure à l’accroissement du revenu moyen par tête d’habitant qui était de 13.5 % par an durant
la même période, à celui de l’entreprise et du capital allant aux ménages qui était de 18.2 % en
moyenne par an et au rev enu moyen p ar actif non salarié qui a augmenté de 15.4 % pa r an durant
la même p ériode.
En outre, l’am élioration du niveau de vie des tr availleurs sa lariés et de leur pouvoir d’achat reste
tributa ire de la conjoncture éco nomique, p articulièrement favorab le durant les an nées 70 et au début
des années 80, et qui s’ est agg ravée d epuis. C’est ce q ui expliq ue que le s alaire minimum ré el a
diminué de 3 % entre 1986 et 1991 alors que le salaire moyen a connu une augmentation de 2 %
entre 1992 et 199745.
B.4) Oeuvrer pour la promotion des libertés, de la démocratie
et des droits de l'homme
Promouvoir les libertés et la démocratie constitue un objectif qu e l’UGT T a inscrit dans ses
statuts (art. 25 ). Les syndicat s sont con scients en effet q ue la liberté s yndicale est indissociab le des
autres liberté s et qu ’un régime démo cratique répond mieux aux aspira tions des t ravailleurs à des
conditions de vie meilleures.
Comme cela a été indiqué précédemment, l’UGTT, par sa p articipation active au mouvement
de libération nationale, à l’avènement de la République et à l’élaboration de la Constitution
tunisienne a contribué à la consécration de la souveraineté du peuple comme fondement du nouvel
état tunisien indépendant. Elle a contribué également à l’inscription des droits fondamentaux de
l’homme et des libertés collectives et individuelles dans la constitut ion tunisienne.
Pendant les vingt prem ières anné es de l’Indépen dance, l’UGTT a adhéré à l’idéologie de
«l’union na tionale» préco nisée par le parti au po uvoir et a constitué avec les autres organisations
professionnelles, «unies» autour du parti un ique, une alternative à la lutte des classes et au
pluralisme politique.
Cependant, tout en étant alliée au parti au pouvoir, l’UG TT es t restée ou verte au plur alisme des
idées et des opinions et a constitué à partir des années 70 le «refuge» des co urants p olitiques
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 1 5
46 Décembre 1955.
47 Tendan ce conduite par H . Bourgu iba, Président du N éo- Destour.
48 Tendan ce conduite par S. B en You ssef, Secrétaire Général du N éo-Destour.
opposés au régime du part i unique, ce qui l’a a menée à exp rimer dans s es posit ions pub liques les
aspira tions de la b ase et de l’op position à la démocra tie et aux dro its de l’homm e.
C’est ainsi q u’elle a ét é co-fon datrice de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, et que son
organe de presse «Echaab» est devenu au milieu des années 70, le moyen d’expression de
l’opposition et des militants pour la promotion de la démocratie, des libertés et des droits de
l’homme.
Cette dimension politique de l’action syndicale a été souvent reprochée aux syndicats par les
pouvoirs publics et a été à l’origine de sérieux conflits ent re l’UGT T d’une p art, le part i unique et
le gouvernement d’autre part, comme nous le verrons plus en détail dans les pages suivantes.
B.5) Sauvegarder l' unit é des travailleurs manuels et int ellect uels
dans une organisation indépendante
L'UGTT a continuellement oeuvré pour sauvegarder l'unité des travailleurs, pour la rétab lir
après les multiples scissions qu'elle a vécues et pour préserver son indépendance vis-à-vis du
gouvernement, des partis politiques et du Patronat.
Depuis sa créat ion, elle a pu unir dans le même mouvement syndical les représ entants des
professions manuelles et intellectuelles, et cette diversité dans l'unité lui a été b énéfiqu e. Elle a
largement contribué à lui donner sa stature d 'organisa tion repré sentative de l'ens emble des
travailleurs et à lui conférer à la fois sa force de pression, sa capacité de proposition et son rôle de
partenaire social et de part ie prenante da ns toutes les activités économiques, sociales et culturelles
du pays.
Cette représen tativité, et le p oids social et p olitique qu'elle a con féré à l'UG TT, a fait de celle-ci
un objet de sollicitude et de convoitise permanente et la cible de manoeuvres politiques destinées
tantôt à s'assurer so n soutien, tantô t à la soumettre sin on à la diviser et à l'affaiblir. C'est ce qui
explique que, tout au long de son histoire, l'UGTT a eu constamment le souci stratégique de
maintenir son unité et son indépendance, tout en entretenant avec le pouvoir politique des relations
tactiques, dictées par la conjoncture et les intérêts du moment.
C) Les rapports des syndicats avec les différent s
acteurs politiques, économiques et sociaux
C.1) Avec le parti au po uvoir, les relations de l'UGTT ont é volué en dents de scie, passant de
l'alliance au partenariat puis à l'opposition pour se stabiliser dans la neutralité.
C.1.1) L'alliance
Comme cela a été signalé dans l'in troduction, l'UGTT a participé à la lutte pour la libération
nationale, conduite par le parti du Néo-Destour . Du fait que la plupart des responsables syndicaux
étaient membres de ce pa rti, elle a joué un rôle d étermin ant à l'occasion du Congrès, qui s'est tenu
au lendemain de l'autonomie interne et à la veille de l'indépendance46, et qui devait d épart ager les
partisans de l'indépenda nce par ét apes47 et ceux de l'ind épendance immédiate et totale 48. En fait , le
clivage entre les deux tendances était plus profond et portait sur le modèle de société que les uns
et les autres cherchent à faire p révaloir dan s une Tun isie indépenda nte.
La pr emière ten dance ét ait mod erniste et privilég iait des relations de coopération avec la France
et le mond e occidenta l, tandis que la seconde était conservatrice, faisait prévaloir le caractère arabomusulman
de la Tunis ie et recherchait son ancrage au Moyen Orient. La Direction de l'UGTT
apporta son appui à la première tendance et favorisa ainsi sa victoire au sein du Congrès du Néo-
Destour tout en fais ant adop ter par celui-ci son propre programme économique et social. Bien plus,
16 Document du travail No. 120
49 Rapport du Secrétaire Général du Parti Socialiste Destourien (PSD) au congrès de 1974.
le congrès de l 'UGTT qui a s uivi celui du N éo-Des tour p ropos a la fus ion orga nique a vec celui-ci,
proposition qui a été repoussée par le Parti qui avait flairé dans cette proposition une tentative de
“phagocytose .
Au lendemain de l'Indépendance, l'UGTT participa sur une liste d'union nationale conduite par
le Néo-Destour au x premiè res élections législat ives pour l'élect ion de l'Assem blée Con stituant e,
puis au premier gouvernement de la Tunisie indépendante, et cette alliance a continué jusqu'à la
première grande crise entr e le gouvernement et l'UGTT en janvier 197 8. Cette crise entraîna la
démission des responsables syndicaux des instances dirigeantes du parti au pouvoir.
C.1.2) Le partenariat
En fait, et bien avant la rupture de janvier 1978, l'UG TT avait commencé à jouer un autre rôle
politique en devenant le partenair e social de l'E tat da ns le cadr e de la polit ique cont ractuelle
inaugurée par le gouvernement en 19 73. C ette po litique était présentée en effet comme étant
“l'expression d'un plu ralisme économiq ue et socia l, opposé no n seulemen t à l'éta tisat ion et à la
collectivisation généralisée, mais à un pluralism e politique, c'est à dire à la m ultiplicité des
partis 49.
La politique contractuelle était par conséquent l'expression d'un projet politique, visant à
accréditer un système économique libéral naissant et le pluralisme économique et social comme
alternative au collectivisme et au p luralisme po litique.
De ce fait les organ isations profess ionnelles étaient appelées à devenir les pa rtenaires p olitiques
et sociaux du pouvoir. Du coup, les relations au travail tout en s'enga geant s ur la voie d e la
négociation collective se sont politisées.
C.1.3) L'opposition
Dans une conjoncture politiq ue dominée par le parti unique, l'UGTT est devenue
progressivement le refuge et le canal d'exp ression des tendances p olitiques divers es opposées au
pouvoir, pour finir par constituer un véritable “contre pouvoir et “un front de l'opposition
politique .
Cette situation eu t pour conséquence des crises avec le pouvoir et des scissions au sein même
de l'UGTT dont la dernière remonté à 1984.
C.1.4) La neutralité
Aujourd'hui, riche de cette expérience et compte tenu de l'évolution politique du pays où existent
plusieurs partis politiques, l'UGTT a adopté une attitude de neutralité à l'égard de ces partis tout
en entretenant avec eux de bonnes relations.
A l'occasion du dernier congrès de l'UGTT, tous les dirigeants de partis politiques ont assisté
à la séance d'ou verture et ont rendu hommage à l'action s yndicale et à la neutralité de cette
organisation à l'égard des partis.
C.2) Avec le gouvernement les relations de l'UGTT ont évolué en fonctio n de celles q u'elle
entreten ait avec le parti au pouvoir dont il est issu, mais aussi en fonction de sa qualité de principal
partenaire de l'org anisa tion syndicale, du fait qu'il est à la fois le pouvoir exécutif et le plus grand
employeur du pays.
Par ailleurs, l'attitude du gouvernement à l'égard de l'UGTT a été influencée par son souci de
tirer bénéfice de l'ap pui politiq ue que l'organisation était susceptible de lui apporter, et aussi par
celui de sauvegar der les équilib res macro-économiques, d'encourag er l'investissem ent privé et de
favoriser la compétitivité des entreprises.
De ce fait les relations syndicats -gouvernement ont toujours été marquées par cette multitude
de considérations à la fois politiques, économiques et sociales.
Au plan politique, et à quelqu es exceptio ns prè s, l'UGTT a le plus souvent apporté au
gouvernement un appui, parfois critique, mais toujours précieux et apprécié, même s'il résulte plus
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 1 7
50 Rapport général au 18ème congrès de l'UGTT - Décembre 1993.
de considérations tactiques et conjoncturelles q ue d'une adhés ion totale à s on progr amme et à s es
objectifs.
Au plan économique, les revendications syndicales tiennent généra lement com pte du t aux de la
croissance, du coût de la vie et de l'év olution du com merce extérieur de la Tunis ie.
Au plan social, l'action syndicale a toujours eu pour objectif de préser ver et d'am éliorer le
pouvoir d'achat, de développer la protection sociale et de veiller à un e répa rtition a ussi é quita ble
que possible des revenus.
Cette diversité des attentes et cette convergence des intérêts entre l'UGTT et le gouvernement
ont eu pour effet de placer les relations des deux partenaires au plus haut niveau de la hiérarchie.
Alors que les négociations se font généralement avec les départements ministériels concern és, le
Secrétaire Général de l'UGTT n'hésite pas à solliciter l'arbitrage du Chef de l'Etat pour les
questions importantes ou épineuses qui n'ont pu être réglées au niveau des d épartements
ministériels concernés.
C.3) Avec le patronat, l'UGTT a au niveau national des négociations périodiques pour la révision
des conventions collectives sectorielles. Ces négociations se font en présence de représentants du
gouvernement qui agissent comme médiateurs.
La concertation entre les syndicats des travailleurs et des employeurs se fait également à des
niveaux intermé diaires, t els que les commissions de licenciement collectif, ou les organes de gestion
de la Caisse Nationale de Sécu rité Sociale et ceux des agences de l'Emploi et de la Formation
Profess ionnelle.
En outre, les tentatives de solution pacifique des conflits collectifs de travail s'effectuent au
niveau de commissions nationales et régionales de conciliation où s iègent les rep résenta nts des
employeurs et des travailleurs.
Enfin, dans les entreprises, les syndicats exercent leurs activités librement, le droit syndical étant
garanti p ar la Cons titution.
Ce qui mérite d'être souligné à ce propos, c'est que les relations professionnelles sont en fait et
le plus souvent - sauf à l'intérieur des entreprises - des relations tripartites, le représentant du
gouvernement assurant régulièrement le rôle de conciliateur ou de médiateur.
C.4) Avec la société civile, l’UGTT entretient des relations suivies avec le mouvement associatif.
Bien plus, n’étant pas une organisation exclusivement syndicale, elle constitue par l’étendue de son
champ d’intervention et la multitude de ses centres d’intérêt un élément essentiel et un promoteur
de la société civile.
Depuis sa créa tion, en eff et, l’UGTT a encoura gé le mouvement co opér atif et m utualis te. Elle
a été à l’origine de la création des coopératives ouvrières de lo gement, des coopératives du marché
de gros à Tunis , des pê cheurs à Sfax , de la mut uelle des ens eignant s et de celle du perso nnel de la
santé publique. Si les coopératives de logements n’ont pas été un succès, celles du marché de gros
et des pêcheurs ainsi que les mutuelles existent encore et sont actives et prospères.
Un membre de l’ex écutif actuel de l’UGTT est chargé des relations avec le mouvement
associat if et la société civile.
Cependant, si l’intérêt de la Centrale Syndicale reste limité pour le moment au moins aux
activités sociales, les deux derniers congrès de l’UGTT tout en réaffirmant le rôle important du
secteur mutualiste «qui permet de conjuguer l’effort de l’individu avec celui de la collectivité» et
qui constitue «une introduction à la démocratie économique et une manifestation de la solidarité
nationale et s ociale»50, ont m is éga lement l’accen t sur le rôle d e «l’écon omie s ociale».
Cet intérêt p our ce type d’éco nomie révèle la t endance de l’UG TT à rechercher et à proposer
des solutions alternatives à l’économie marchande, tendance qui s’affirme davantage à l’heure de
la mondialisation.
18 Document du travail No. 120
3. L'UGTT et la mondialisation
La Tunisie a vécu durant les quinze dernières années des changements profonds dans les
domaines é conomique, social et p olitique , qui ont eu des ré percus sions importantes sur la s traté gie
et les structures de l’UGTT.
La troisième partie de cette étude sera consacrée par conséquent à l'examen des répercussions
de ces changements, en premier lieu sur la stratégie syndicale, plus particulièrement en ce qui
concerne le rôle de l'UGTT da ns la défens e des intérêt s des tra vailleurs(I), dan s l'élabor ation des
choix économiques et sociaux du gouvernement (II), et sa participation à la vie politique
nationale(III).
En second lieu, les répercussions de ces changements seront analysées au niveau de l'action
syndicale, plus précisément en ce qui concerne la prise en compte des demandes s ociales nouvelles
(IV), des préo ccupations des nouvelles catégories de travailleurs (V), l'organisation interne de
l'UGTT et ses re lations extér ieures (V I), et enfin l'im age des s yndicats dans l'opinion publique
natio nale (V II).
A) Les changements dans l’environnement économique,
social et politique en T unisie
Dans le domaine économique d'abord, les années quatre-vingt ont vu se succéder les effets
négatifs d'une crise économique aiguë, accompagnée de tensions sociales qui ont atteint leur
paroxysme en 1984 pa r des manifestations populaires et des émeutes à l'occasion de ce qu'on a
appelé la “révolte du pain provoquée par une décision du gouvernement de supprimer, d'un seul
coup, les subven tions de l'Eta t aux p rix de vente su r le marché des produits céréaliers. Cette
décision de réduir e les sub ventions publiq ues aux prix de certains produits de grande consommation
a révélé les limites d'une politique d'intervention excessive de l'Etat dans le domaine économique.
Cette politiq ue conjugu ée à une d iminution des ressources extér ieures du fait d e la dégrada tion des
termes de l'échange, s'est soldée en 1985 pa r un déficit énorme du budget de l'Etat et de la balance
commercia le et par une baisse des réserves de change tellement importante qu'il a fallu recourir à
l'aide du FMI et de la Banque Mondiale pour permettre à l'Etat de faire face à ses engagements
financiers.
C'est ainsi que la Tunisie adopta en 1986 un Plan d'Ajustemen t structurel destin é à rétablir les
équilibres macro-économiques, à réduire les grands déficits, à restreindre l'intervention de l'Etat
sur le marché, à privatiser progressivement les entreprises publiques, à libéraliser le commerce et
à encourager les exportations et les investissements extérieurs.
Après avoir réussi son Programme d'Ajustement Structurel, la Tun isie qui es t class ée par la
Banque Mondiale dans le groupe des pays à degré d'intégration élevé, a confirmé son engagement
irrévers ible sur la voie de la libéralisation économique en adhérant au GATT, puis à l'Organisation
Mondiale du Commerce, et en signant en 1996 avec l'Union Européenne un accord de partenariat
qui prévoit la mise en place d'une zone de libre échange durant les dix prochaines années.
Ces changements dans la stratégie économique ont provoqué la mise en oeuvre pa r le
gouvernement d'un programme de restructuration des entreprises et de “mise à niveau de
l'économ ie destiné à accroître la compétitivité des produits tunisiens, à améliorer les exportations
et à permettre à la Tunisie d'être de plain-pied dans la dynamique de la mondialisation.
Dans le domaine social, les changements qui sont aussi importants, traduisent le souci du
gouvernement de concilier les préoccup ations ré sultant d 'une part d e la demande so ciale accrue en
termes d'emplois, d'éducation, de formation, de protection sanitaire et sociale, et des revendications
des travailleurs salariés pour p réserver leur p ouvoir d'acha t et la perma nence de leurs revenus, et
d'autre part la nécessité de doter les entreprises des moyens d'accroître leur compétitivité et de faire
face à l'imprévisibilité du marché.
C'est ainsi que des modifications importantes ont été introduites dans la législation d u travail
dans le sens d'une plus gran de flexibilité, ainsi que dans la politique de s salaires et des p rix, alors
que de nouvelles incitations et de no uveaux instru ments pour la promotion de l'emplo i et de la
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 1 9
51 Rappo rt au 18 ème C ongrès.
52 Loi n 29 du 21 Février 1994 & n 62 du 15 Juillet 1996.
formation professionnelle ont été créés par le gouvernement pour faire face à la pression des jeunes
sur le marché de l'emploi et à la demande accrue des entreprises en main-d'oeuvre qualifiée. Ces
nouvelles mesures sont destinées à favoriser aussi bien l'investis sement générateur d'emplois
salariés que l'auto-emploi à travers l'aide à l'installation de travailleurs indépendants et l'accès au
crédit pour la création de micro-entreprises, ceci élargissant la place du secteur tertiaire et des
travailleurs indépendants dan s la population active.
Dans le domaine politique, la Tunisie a vécu au niveau n ational, depuis nov embre 19 87, des
changements importants au niveau de la magistrature suprême et de la d irectio n poli tiqu e du pa ys
de même qu’au niveau des grands choix et des orientations fondamen tales dans le sen s de la
promotion des libertés publiques et individuelles, de la démocratie et du pluralisme politique.
Ces orientations ont fait l'objet d'un pacte national auquel ont adhéré les partis p olitiques, les
organisations syndicales et les représentants du mouvement associatif.
Ce pacte consacre le principe du pluralisme dans le cadre de la loi pour toutes les fa milles
politiques et un certain nombre de valeurs auxq uelles tou s les mouvements polit iques et le
mouvement associatif ont adhéré et qu’ils se sont engagés à défendre et à préserver.
En outre, le p luralism e se manifeste p ar la présence sur la scène nationa le de sept part is
politiques dont cinq sont représentés au Parlement.
Au niveau international, la dernière décennie a été marquée par l'avènement de l'Union du
Maghreb Arabe, constituée par la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Libye, avec pour
objectif une inté gration ma ghrébine p rogressive.
B) Les changements dans la stratégie, les activités et
les structures de l’UGTT
B.1) La représenta tion et la défense des intérêts des travailleurs tunisiens sont demeurés une
constante dans la stratégie syndicale tunisienne, dans un environnement économique et social
défavora ble du fait de la mise en oeuvre du Programme d'Ajustemen t Structu rel et de la
libéralisation progress ive de l'économie tunis ienne, d'une part et, d'autre part, parce que l'UGTT a
été particulièrem ent affectée p ar des diss ensions inter nes et par la crise ouverte q u'elle a eue avec
le Gouvernement et le parti au pouvoir au milieu des années 80.
Profitant du changemen t politique interven u au somm et de l'Etat, en novembre 1 987, et de la
politique de réconciliation n ationale instaurée par le nouveau gouvernement, l'UGTT a reconstitué
son unité, rajeuni et renouvelé sa direction et récupéré progressivement son rôle de représentant
unique des travailleurs et de défenseur de leurs intérêts tant au niveau national qu'à celui des
entreprises. “Nous avons maintenu notre place et notre rôle sur la scène nationale et nous avons
échappé à la marginalisation rappelait encore récemment son secrétaire général51.
Au niveau national, l'UGTT a relancé la politique con tractuelle et a retrou vé son rôle
d'interlocuteur du gouvernement et du patronat à l'occasion de la révision du Code du Travail (a),
des Conven tions C ollectives et des St atuts (b), da ns une conjonctur e économique inter nationale qui
impos ait un peu partout dans le monde une plus grande flexibilité de la législation du trava il et du
marché de l'emploi et une réd uction des char ges sociales d es entrepris es pour a méliorer leur
compétitivité.
B.1.1) Le Code du T ravail a connu deux importantes réformes, en 1994 et en 199652, qui
répondaient à la nécessité d'adapter la législation du travail aux impératifs de l'évolution
économique et sociale de la Tunisie et aux contraintes de la libéralisation du commerce
international et de la mondialisation.
Ces réformes ont été précédées par une longue concertation du gouvernement avec les
organisations syndicales d’employeurs et de t ravailleurs au s ein d'une commissio n tripa rtite qui a
20 Document du travail No. 120
53 La L oi n 92-81 du 3 Août 199 2 portant création de zones franches économ iques a fait du contrat à durée
déterminée l’unique form e d’organisation des relations du Travail entre les entreprises implantées dans ces zones et
leurs salariés (art.23).
54 Loi du 24 février 1994.
55 Loi n 60-31 du 14 Décembre 1960.
56 Mai 1973.
57 L'effectif minimum requis était de 50 pour les comités d'entreprises et de 20 pour les commission
consultatives paritaires.
abouti à un consensus sur l'ensemble des réformes adoptées, consensus qui a concilié les intérêts
des travailleurs salariés avec ceux des entreprises.
Les réformes ont porté notamment sur :
– L'amélioration de la flexibilité dans le recru tement et la gestion de ressources h umaines au sein
de l'entreprise. Les am endements du code du trav ail ont aboli les dispositions relatives à
l'information préalab le du Bureau p ublic de placemen t avant t out recrutemen t, précisé les
modalités de recours au contrat à durée déterminée53, renouvelable dans la limite d'une période
maximale de quat re ans, et au contr at à tem ps p artiel, fa cilité la réduction de la durée
hebdomadaire du travail p ar des nég ociations collectives , alors qu 'elle était jusq u'ici du ressort
exclusif du pouvo ir réglementair e, et permis au chef d'entrepr ise en accord avec le syndicats de
fixer le jour de repos hebdomadaire et la période du congé annuel en fonction des impératifs de
la production.
Par ailleurs, le code du travail a précisé les critères du licenciement abusif et a fixé le seuil et le
plafond des indemnités dans ce genre de licenciement.
– L'amélioration de la protection sociale des travailleurs. Les amendements du Code du Tra vail
ont permis en outre d'harmoniser la légis lation tunis ienne avec les conventio ns internat ionales
n 89 relative au travail de nuit des femmes, n 138 rela tive à l'âge minimum d'accès à l'emplo i,
n 77 relative à l'examen médical des jeunes dans l'industrie et n 124 relative à l'exam en
médical des jeunes dans les mines.
Les amendements du Code du Travail ont également défini les modalités et les procé dures en
cas de licenciement pour des raisons économiques ou techniques, étendu les dispositions
relatives à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles au secteur de
l'agriculture, rendu obligatoire l'institution d'un service médical du travail dans toute entreprise
employant 500 salariés et plus, et celle de la fonct ion de respon sable de la sécurité du travail au
sein de l'entrepris e.
Dans le même ordre d'idées, les amendements introduits dans le Code du T ravail renforcent les
prérog atives de l'inspection du travail, augmentent les sanctions en cas d'inf raction à la
législation du travail et améliorent les procédures de recours devant les tribunaux du travail dans
les cas d e conflits individuels de trava il.
– Restructuration des organes de dialogue social. La réform e du Code du T ravail a éga lement
touché les structures de dialogue social au sein de l'entreprise et au niveau national, dans le sens
de la réduction de leur nombre et de la redéfinition de leurs attributions.
Au sein de l'entreprise, “une Commission C onsult ative de l'E ntrep rise rem place désormais 54
le Comité d'entreprise créé par la loi55 et la Commiss ion Con sultat ive Parit aire créé e par la
Convention Collective Cadre56. Elle est obligatoire dans les entreprises employant 40 salariés
et plus57. Le rôle de ces Commissions Consultatives dont la moitié des membres sont élus par
le personnel et l'autre moitié sont désignés par l'employeur est de favoriser la concertation
sociale en vue de l'amélioration des conditions de travail et de la productivité au sein de
l'entreprise. En outre, le comité est informé sur la situation économique et sociale de l'entreprise
et sur ses programmes d'avenir. Enfin, le comité se transforme en conseil de discipline qui est
obligatoirement consulté par l'employeur avant de prendre une sanction en cas de faute grave
commise par un salarié.
Au niveau national, les diffé rentes s tructu res trip artites de dialogu e et de concert ation da ns le
domaine des salaires, des négociations collectives et du travail, ont été remplacées par une
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 2 1
58 La quatrièm e révision des conven tions collectives a commen cé en ma rs 1999 et se poursuit actuellemen t.
59 Rapport général au 19ème congrès - avril 1999.
60 2292 grèves entre 1989 et 1993 soit une moyenne de 460 grèves par an (rapport général au 18ème congrès).
61 Rapport du Secrétaire Général au 19ème congrès - avril 1999.
62 Article 2 des statuts (adopté lors du 18 ème con grès - décembre 1 993).
Commission Nationale du Dialogue Social constitué e par les rep résentants nationa ux des
organisations syndicales d'employeurs et de travailleurs et p ar ceux de l'Admin istrat ion. Elle
constitue le cadre off iciel de la concert ation s ociale et p ermet au gouvern ement de f avoris er la
paix sociale et le consensus préalable aux décisions importantes concernant la modification de
la législation nationale du travail, la ratification des conventions int ernatio nales du trava il, le
relèvement des salaires minima, et l'organisation des négociations collectives.
B.1.2) Les négociations collectives dans les secteurs public et privé. La reprise des négociations
collectives dans le secteur privé et dans le secteur public a été durant les dix dernières années une
des activités les plus importantes de l'UGTT et a abouti à trois augmentations s uccessives de
salaires 58 s'étalant chacune sur 3 années et à des améliora tions qu alitatives des dispos itions des
conventio ns collectiv es secto rielles, des stat uts de la fonction pu blique et des entreprises nationales.
Pour l'UGTT, l'organisatio n de ces négociat ions collectives su ccessives a p ermis de confirm er
son importance da ns la mis e en oeuvre de la politique contractuelle et d'aboutir à des résultats
positifs dans le sens de l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés et de leurs conditions de
trava il.
C'est ainsi que le salaire minimum réel dans les entreprises non agricoles assujetties au régime
de 48 heures par semaine “qui a diminué de 3 % en tre 19 86 et 199 1, a augmenté de 1 % d ans la
période 1992 - 1997 alors q ue “le sa laire moyen a connu du rant la période 92-97 une augmentation
du plus de 2 % 59.
Au niveau de l'entrepr ise, les négociat ions collectives ont abouti es sentiellement à p réserver et
à confirmer la libert é de l'activ ité synd icale et à distinguer le rôle des syndicat s de celui des
structures paritaires de dialogue et de concertation.
En somme, durant la dernière décennie qui a été dominée par les préoccupations de
compétitivité et de restru cturation des entreprises, le rôle traditionnel de l'UGTT dans la défense
des intérêts matériels et moraux des travailleurs s'est confirm é et a abouti, d’un e part, à la
préservation des acquis so ciaux et de la liberté syndicale et, d'autre part, au maintien, sinon à une
amélioration relative du pouvoir d'achat des travailleurs salariés.
Malgré une c onjo nctu re économique et soc iale d éfavo rabl e, la combativité syndicale s'est
maintenue à travers les grèves qui sont encore nombreuses 60, et les revendications qui demeurent
malgré tout réalistes.
Sans avoir pu améliorer le pouvoir d’achat, l’UGTT a réussi tout de même à le préserver
notamment pour les catégories ayant un faible revenu61.
B.2) La participa tion de l'UGTT au x choix économ iques et sociau x et
aux plans de développement
Dans les statuts de l'UGTT qui ont été amendés à l'occasio n du 18ème congrès en 1993,
“l'instauration d'un ordre économique national socialiste indépendant et libéré de toute hégémonie
et la répartition équitable des richesses nationales figurent parmi les objectifs de cette
organisation.62
Bien qu'il paraisse anachronique, dans une conjoncture mondiale où l'indépendance économique
a perdu sa significatio n et où le socialisme est en nette régression, le maintien de ces dispositions
dans ses st atuts confirme l'a ttachem ent de l’UGTT à un ordre économique et socia l national défini
et sa détermination à agir auprès du gouvernement en vue d'infléchir da ns ce sens s es choix et s es
plans de développement.
Comme cela a été indiqué dans les pages précédentes, la participation de l'UGTT à l'élaboration
des orientations économiques et sociales et aux plans de dévelop pement du pays s'effectu e au sein
22 Document du travail No. 120
63 Organisée en 1998.
64 En cours.
65 1993 - 1998.
66 U.R. de Sfax 31/7 et 1 et 2/8/1992 - Journées d’études sur les incidences du 8ème plan.
67 Décembre 1998.
68 Avril 1999.
69 Citations extraites du rapport général du 19èm e congrès.
des struct ures con sultatives, notamment du Conseil Economique et Social et du Conseil Supérieur
du Plan, à l'o ccasion d es grandes cons ultations nationales que le gouvernement organise
régulièrement sur les orientations des plans de développement et sur les grands dossiers tels que
celui de l'emploi63, de l'éducation ou de l'agriculture64
L'UGTT dispose à cet effet d'une structure permanente d'études et de réflexion, composée
d'universitair es et d'expert s, et organis e de temps à autre des journées de réflexion sur les questions
à l'ordre du jour des consultations nationales.
C'est ainsi que pour la préparation du 8ème plan65 elle a non seulement p articipé a ux insta nces
consultatives susindiquées et à la consultation nationale organisée à cet effet, mais pris également
l'initiative d'organiser des journées de réflexion au sujet des incidences du 8ème plan sur les
travailleurs66.
Ces journées d'études ont notamment mis en valeur les effet s négat ifs de l'ajustem ent struct urel
et des réformes économiques sur les intérêts immédiats des trava illeurs salar iés, sur les r isques
inhérents à l'introduction d'une plus grande flexibilité au niveau du marché de l'emploi, sur
l'importan ce du rôle de l'Etat dans la “reproduction de la force de trava il et l'améliorat ion des
conditions de vie et de travail, sur la néces sité de pr éserver le rôle de l'Et at dans le secteur pub lic.
Ces idées et ces propositions ont été reprises par la suite dans les interventions des représentants
syndicaux dans les ins tances cons ultatives na tionales et da ns les rés olutions ad optées à l'occasion
des réunions et des congrès syndicaux.
C'est ainsi que la résolution économique du 18ème congrès67 a mis l'accent sur le rôle essentiel
de l'Etat dans le développement économique, en précisant que l'édificat ion d'une économie
nationale doit s'appuyer sur l'utilisation optimale des ressources du pays pour renforcer sa position
sur le marché mondial et qu’elle nécessite par conséquent “une intervention soutenue de l'Etat au
niveau de la production et des éch anges, de la recherch e - développ ement, du choix de filières
industrielles nouvelles, de l'insta uration d'un e culture d'entrepr ise et de relations profess ionnelles
appropriées .
Cet te résolu tion pr éconise en outre un “modèle de dév eloppement q ui favor ise l'équ ilibre et la
compétitivité entre le secteur public, le secteur p rivé et le secteur coop ératif et m utualiste .
Elle préconise également une politiq ue fiscale q ui compense pa r d'autr es ress ources la
diminution des recettes fiscales due à la limitation progressive des droits de douanes.
Elle revendique “Une par ticipat ion de tou s les tu nisiens à trav ers leurs organis ations et leurs
représentants aux choix d'un modèle de développement qui réponde à leurs aspirations, qui améliore
leurs conditions de vie et q ui renforce les capacités na tionales de fa çon à rédu ire les déséq uilibres
globaux de l'économie et, par voie de conséquence, sa dépendance et les pressions dont elle est
l'objet sur le plan international .
Cette position de l'UGTT à l'égard des orientations économiques du gouvernement et ses
tentatives de les infléchir dans le sens du maintien du secteur public et du développement d'un
secteur coopératif et mutualiste ont été confirmées à l'occasion du 19ème congrès68, mais avec des
nuances.
On peut lire en effet dans le rapport du secrétaire général au congrès que l'UGTT “n'est pas
contre le secteur privé ni p our la lutte des classes69 et “n e s'accroch e pas a u princip e de l'économ ie
dirigée, mais elle pens e que des pays comme la T unisie ont encore b esoin que l'Et at conserve un
rôle économique .
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 2 3
70 Citations extraites du rapport général du 19èm e congrès.
71 Rapport au 19ème congrès, avril 1999.
72 Article 2.c des statuts.
En outre, l'UGTT n'est pas contre le principe d e privatis ation des ent reprises p ubliques mais elle
n'est pas en fa veur d'une “privatisation totale , plus particulièrement des “secteurs stratégiques 70.
En somme, bien que les positions syndicales à l'égard des orientations libérales du gouvernement
dans le domaine économique soient modé rées et nua ncées, elles s'op posent n ettement au x thès es
qui pré conisent la libé ralisation t otale et le déseng agement de l'Et at du dom aine économiq ue.
En outre, l’attitude de l'UGTT à l'égard des orientations économiques du gouvernement n'est pas
figée dans une attitude de rejet total ; elle tend au contraire à être constructive à travers les solutions
alternatives qu'elle propose, notamment celle du développement du secteur coopératif et mutualiste
et d'un “secteur mixte état-capital privé71.
Dans le domaine social, l'UGTT participe également à l'élaboration des orient ations et des cho ix
du gouvernement et donne son avis non seulement en qui concerne la protection des travailleurs
salariés mais également sur la politique de l'emploi, de la formation professionnelle, du logement,
des revenus, de la fis calité et des p rix. Ces d ifférents a spects d e la politique s ociale font en effet
l'objet d'une concertation permanente du gouvern ement et des p artenaires sociaux et figurent en
bonne place dans les résolutions émanant des différents congrès de l'UGTT, dont nous examinerons
les détails dans les pages suivantes.
B.3) La participation des syndicats à la vie politique
Tout en se déclarant apolitique , l’UGTT a conservé parmi ses ob jectifs : «la défense des libertés
collectives et individuelles» et «l’inst auration d e la démocrat ie et de la justice sociale»72.
Cela nous conduit à poser les deux questions suivantes :
1) Comment l’UGTT va-t-elle concilier cette vocation politique avec sa missio n
syndicale, dans un no uvel environnement marqué par le plura lisme politiq ue ?
2) Comment va-t-elle co ntribu er à la dé fense des libertés et à l’inst aurat ion de la
démocrat ie ?
B.3.1) L’UGTT : une organisation syndicale à vo cation politique
Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes, l’UGTT a toujours été mêlée à l’action
politique, en participant à l’exercice du pouvoir au lendemain de l’indépendance, en s’alliant à lui
par la suite, et en devenant à un certain moment un contre pouvoir et le «refuge» des opposants
politiques de tout bo rd dans un environnement d ominé pa r le parti uniq ue.
Durant les années 70, l’UGTT a même envisagé de créer son propre parti, le «Parti du T ravail»
mais cette idée a été ab andonn ée sous la pres sion du pouvoir, et pa rce qu’elle a rencontré une
certaine opposition au sein même des dirigeants syndicaux.
Cette «tentation du pouvoir» est motivée certes par des considérations syndicales, l’objectif étant
d’infléchir la politique du gouvernement dans le sens des intérêts des travailleurs, mais aussi par
des considérations politiques, l’UGTT ayant toujours milité, depuis sa création, pour un modèle de
société où prévalent la démocrat ie et la justice sociale.
Aujourd’hui, et alors que la vie p olitique est anim ée par plusieu rs pa rtis, la p osition officielle
de l’UG TT est de «laiss er les p artis faire leu r tra vail».
Dans la pratiq ue, l’UGT T a renoncé à l’idée de créer un parti politique mais n’a pas abandonné
l’espo ir de participer aux p rochaines élections législatives. Lors de son der nier congr ès, le
Secrétaire Général a déploré l’absence de représentants de l’UGTT au P arlement et le journal de
l’organisation a plusieurs fois interrogé des personnalités politiques appartenant à divers partis sur
l’opportunité d’une participation de l’UGTT aux élections législatives d’octobre 1999.
En fait, si l’idée d’avoir une représentation syndicale au sein du Parlement ne semble pas
soulever d’objections de principe, la question est de savoir comment les syndicats peuvent parvenir
à cet objectif tout en gardant leur indépendance vis-à-vis des partis politiques existan ts et tout en
24 Document du travail No. 120
73 Extraits du Rapport général au 18ème congrès, pp. 18-19.
74 Rapport au 8ème congrès, p. 17.
renonçant à la création d’un par ti politique n ouveau ? Et si les syndicats participen t comme ils le
souhaitent à la campagne électorale, comment peuvent-ils le faire sans dévier de leur mission
essentielle et san s traves tir leur fonction s yndicale ?
La question de la représ entation s yndicale au parlement reste posée, mais au delà de cette
représentation, les syndicats manifestent leur vocation politiq ue par l’app ui déclaré aux choix
politiques du gouvernement et par la signature en 1988 du pact e nation al, qui co nstitu e la
plateforme politique com mune et le credo des d ifférentes composantes de la société civile, dont
l’UGTT constitue un des éléments les plus importants.
Ceci étant, l’UGTT entretient des relations particulières tant avec le gouvernement q u’avec les
partis politiques.
Avec le gouvernement, l'UGT T cont inue à entr etenir des relations suivies d ’abo rd par ce qu’il
est le premier employeur avec lequel elle négocie les salaires et les conditions de t ravail da ns la
fonction publique et dans les socié tés na tionales , ensuite p arce qu ’il est res pons able de l'élaboration
et de la mise en oeu vre de la politiq ue de protection sociale.
Avec le pouvo ir politiq ue, l'UGTT exprim e les orient ations politiques qu ’elle voudr ait voir
adopter, mais pa s de revendications par ticulières. For te de l'expér ience du pass é, elle évite les
positions partisanes et les confrontations dictées par la conjoncture politiq ue. Comme l'a rap pelé
son secrétaire général, à l'occasion du 18ème congrès : “Not re object if n'est p as de com batt re le
pouvoir, d'avoir une at titude host ile à son égar d ou de le provoquer avec ou sa ns rais on : la
clairvoyance, les leçons du p assé, et s urtout les b onnes dispositions que nous avons trouvées au
sommet de l'Etat nous ont dicté un comportement basé sur la coopération et sur la consultation dans
le cadre du respect 73.
Ceci étant, l'UGTT tient à marq uer son indépendance à l'éga rd du pou voir en affirma nt que :
“Nulle force ne peut pousser notre centrale à brader les droits des travailleurs ou à marchander son
soutien à leurs légitimes revendications ou à faire des concessions sur le droit syndical et sur
l'engagement de dé fendre la liberté , la démocrat ie et les droits de l'hom me.
Avec les partis politiques , l'UGT T entretient des relations de respect mu tuel, de neutralité et de
non ingérence récipr oques. C ertes, l'ère du parti unique est révolue depuis longtemps ; et le parti
au pouvoir, qui demeure largement représ entatif et ma joritaire tant au Parlemen t que dans les
conseils municip aux, n 'est plu s seul sur la scè ne politiq ue. Plus ieurs autres partis o nt vu le jour et
exercent normalement leurs activités tout en entreten ant de b onnes relations avec la cent rale
syndicale. Lors du dernier congrès de celle-ci, les chefs des différents partis sont venus saluer les
congressist es et louer l'action de leur organisation en faveur du renforcement de la démocratie, du
développ ement équ ilibré et des dr oits de l'homm e.
Ainsi, tout en maintenant des rela tions de co-existence et de neutralité positive avec les partis,
l'UGTT a cessé d'être le refuge des tendances politiques non reconnues et le rassemblement de
l'opposition, comme ce fut le cas à l'époque du parti unique, tout en gardant sa caractéristique
d'organisation démocratique ouverte à tous les syndicalistes quelles que soient leurs opinions
politiques. Cependant, sa neut ralité à l'éga rd des pa rtis politiq ues ne l'a pas empêchée de déclarer
son hostilité à l'extrémisme et au recours à la violence, en adoptant une attitude vigilante à l'égard
de toute tenta tive visant à l’entraîner dans des a ctivités politiques p artisanes . A cet égard, le rapport
au 18ème congrès est assez explicite : “l'UGTT a pu, grâce à son exp érience, à sa riche tr adition et
à sa capacité à inculquer à ses militants un comportement syndical loyal, barrer la route à ceux qui
prônent la violence et ceux qui rêvent d'utiliser notre organisation dans des combats non
syndicaux74.
B.3.2) L’UGTT apporte un app ui permanent à la promotion de la démocratie et des libertés
Dans la pratique, la contribution de l’UGT T à la p romotion d e la démocrat ie et à la défense d es
libertés se manifeste à travers le soutien que cett e organis ation apporte aux initiativ es du p ouvoir
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 2 5
politique en faveur de la pro motion du plur alisme p olitique, des droit s de l’hom me et de la
démocrat ie.
L’UGTT n’exprime pas de revendications particulières à ce sujet et considère q ue de telles
revendications sont du ressort des partis politiques. En outre, elle ne fait plus partie du Bureau
directeur de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme dont elle fut memb re fondateur dans les
années 70.
Ainsi, la contribution de l’UGTT à la promotion des libertés et de la démocratie se manifeste
davantage sous la forme d’un appui de circonstance et de principe au processus de changement
impulsé et conduit par le pouvoir politique, que d’une activ ité permanente qui s’intègre dans un
programme d’action préalablement établi par les syndicats.
Progressivement, l’UGTT se déta che de l’act ion polit ique sa ns l’ab andonn er entière ment. Elle
est consciente du fait que le pluralisme a restreint considérablement son champ d’intervention dans
ce domaine. Elle est co nsciente égalem ent que pa r sa fort e présence sur le terrain, par sa
représentativité de l’ensemble des travailleurs manuels et intellectuels, par sa capacité de
mobilisation d’une b onne pa rtie de l’op inion pu blique, elle dispose d’un atout politique important
qu’elle peut faire valoir pour atteindre ses objectifs syndicaux.
B.4) La prise en considération de deman des sociales nouvelles
Avec l'évolution démographique, le développement de l'enseignement et l'émancipat ion de la
femme, la demande s ociale en Tunis ie s'accroît et se diver sifie de p lus en p lus, en termes d'em plois
nouveaux à créer, de logements, d'écoles et d'hôpitaux à construire…, mais aussi d'aspirations
nouvelles à satisfaire… ce qui constitue autant de contraintes sociales que l'Etat doit prendre en
considération dans ses program mes et dans ses plan s de dévelop pement, en même temps que
d'autres contraintes résultant de l'ouverture de l'économie tunisienne et de son intégration
progressive à l'économie mondiale. C'est la raison pour laquelle ces aspirations figurent en bonne
place dans les préoccupations nouvelles de l'UGTT.
Parmi les dem andes so ciales nouvelles q ui se reflètent d ans les program mes et les revendications
présen tes de cette organisation syndicale, les questions de protection de l'environnement, de
l'emploi des jeunes et du travail des femmes méritent d'être soulignées.
B.4.1) La protection de l'environ nement et l'améliora tion de la qua lité de vie dans les grands
centres urbains constituent l'une des préoccupations et revendications nouvelles de l'UGTT.
C'est ainsi que le rapport général au 18ème congrès évoque la dégradation de l'environnement qui
«a atteint des degrés extrêmes et un rythme accéléré» et nécessite de traiter ensem ble les prob lèmes
du développement et de l’environnement.
Le rapp ort rap pelle qu’en T unisie, malgré les mesures prises p ar le gouvernement durant les cinq
dernières années, «la dégradation de l'environnement a atteint dans certaines régions un degré de
gravité représentant un danger pour l'homme avec des répercussions négatives sur la p roduction et
sur l'environnement p rofessionn el» et que la misèr e et la pauvr eté constituent une source
importante de pollution.
Le congrès de l'UGTT, considé rant ces p roblèmes , a formulé u ne série de recommandations en
vue de revoir les plan s d'amén agement du t erritoire, de créer des es paces vert s et de mieux p rotéger
l'environnement.
Désormais, aux revendications syndicales traditionnelles relatives à l’amélioration le niveau de
vie et les conditions de travail s'ajoute celle relative à l'amélioration de la qualité de v ie dans les
zones urbain es et suburb aines où vivent gé néralem ent les tr availleur s sala riés et d'autres ca tégories
de travailleurs et de citoyens aux revenus modestes. Ce faisant, l'UGTT s'est montrée sensible à
l'émergence des no uvelles aspirations collectives de la population. En intégrant ces aspirations dans
son programme, elle étend son champ d'intervention à d'autre espaces d’action et ajoute à sa mission
tradit ionnelle de défenseur d es intérêt s maté riels et moraux des travailleurs celle de défenseur du
droit de la population à un environnement sain.
Cependant, rien dans les résolutions de l’UGTT n’indique que cet intérêt pour l’environnement
va se traduire da ns un avenir p roche, par un program me d’action s pécifique. L e rôle des syndicats
26 Document du travail No. 120
75 Chiffres cités dans le rapport au 18ème Congrès de l’UGTT.
76 Chiffres cités dans le rapport au 18ème Congrès de l'UGTT.
se limitera tout au plus à suivre l’évolution d e la situation dans ce doma ine, et à «mobiliser
l’opi nion p ubliq ue aut our de c es thè mes».
B.4.2) Le chômage des jeunes constitue un autre centre d'intérêt et une autre préoccupation
relativement nouvelle dans les programmes et revendications de l'UGTT. Certes, depuis sa création,
celle-ci a inclus la lutte contre le chômage parmi ses priorités et continue à s'y intéresser et à suivre
son évolution.
Elle apprécie et loue les efforts du gouvernement qui a fait de la promotion de l'emploi un
objectif majeur de son programme de développement. Ceci étant, elle considère dans son rapport
au 18ème congrès q ue le taux du chômage res te relativement élevé (13,1 % en 19 84 et 1 5,6 % en
1994), malgré l'accroissement du nombre d'emplois créées chaque année. De ce fait, le chômage
des jeunes et plus particulièrem ent celui des jeunes dip lômés d evient préo ccupant. En effet, selon
ce rapport, les jeunes âgés de 15 à 29 ans rep résentent en 1990 45 % de la pop ulation active. En
outre 70 % des demandeurs d'emp loi nouveaux sont des jeun es qui ont acquis une formation
profess ionnelle; parmi ceux là, 2 4 % ont suiv i des études universitaires ou sont diplômés de
l'université75
Pour faire face à cette s ituation, l'UG TT recommande dans la résolution é conomique et socia le
adoptée par le 18ème congrès q ue les entrepris es fassen t un effort p articulier pour recruter les jeunes
demandeurs d'emplo i et que les banq ues facilit ent le finan cement des micro-p rojets et du trav ail
indépendant. En outre, elle recomm ande de renforcer la formation professionnelle qualifiante à tous
les niveaux, not amment da ns les sp écialités liées aux techno logies nouvelles, de façon à fa ciliter
l'emploi des jeunes chômeurs et plus particulièrement l'emploi des diplômés.
Ainsi, l'emploi des jeunes diplômés fait partie des nouvelles préoccupations de l'UGTT dans un
environnement économique et social marqué par l'affluence sur le marché de l'emp loi de nouvelles
catégories de demandeurs d'emploi, lesquels faute de pouvoir être employés comme travailleurs
salariés, s'orientent de plus en plus vers des activités indépendantes. Il y a là un nouveau centre
d'intérêt pour l'organisation syndicale et une nouvelle expansion de son champ d'activité.
B.4.3) La troisième préoccupation qui figure parmi les revendications nouvelles de l'UGTT
concerne l'emploi des femmes, dont la par ticipation s ur le marché de l'emp loi et dans les ins tances
dirigeantes de l'UGTT s'accroît d'année en année. En effet, toujours selon le rapport présenté au
18ème congrès, la p opulation féminine est p assée de 1 8,9 % de l'ensemble de la p opulation active en
1975 à 22,9 % en 19 94. Parallèlement le pourcentage des femmes parmi les salariés et plus
particulièrement dans certains secteurs est important: 76 % dans les industries textiles; 43,5 % dans
les industries manufacturieres; 43 % dans la santé publique; 33 % dans l’enseignement76.
Dans un rapport sur les réalités et les perspectives de l'emploi en Tunisie, publié par son bureau
d'études en 199 8, l'UGTT ra ppelle que la législation tunisienne garantit l'égalité de droits et de
traitement à la femme. Elle s'interroge sur le caractère effectif du principe de non discrimination
à l'égard des femmes au travail, tout en rappelant que certaines catégories et plus particulièrement
les employées de maison ne s ont pas couvertes p ar la législat ion sociale.
L'UGTT déplor e, dans ce rapport, qu e les offres d'emplo i soient formulées quelq uefois d'une
manière discrimin atoire à l'égard des femm es, et exp lique cett e tendan ce, sans toutefo is la justif ier,
par le taux élevé de l'absentéisme parmi les femmes au travail. Elle également la promulgation d'une
loi qui sanctionnerait la discrimination en matière d'emploi à l'égard des femmes et toute forme de
harcèlem ent sex uel.
Par ailleurs, l'UGTT recommande l'instauration de nouvelles formes d'encouragement de
l'emploi à temps partiel pour les femmes qui n'arrivent pas à concilier leurs activités
profess ionnelles avec leurs obligations familiales. Elle propose en outre d'allonger la période
d'allaitement et de la porter d'une à deux heures par jour. Elle préconise enfin de reconsidérer l'âge
d'admiss ion des femmes à la retraite.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 2 7
77 L'Econo miste m aghrébin , n 232, p. 26.
Ceci étant, les nouvelles revendications des femmes au travail prises en considération par
l'UGTT ne sont pas d'ordre strictement professionnel. En effet, les femmes syndicalistes ont
conscience que la participation féminine dans les stru ctures p olitique s et synd icales est encore faib le
par rapport à leur poids réel dans la population et à leurs aspirations. Elles revendiquent non
seulement l'égalité de traitement dans le domaine du travail, mais auss i l'égalité des cha nces
d'accéder aux responsabilités politiques et syndicales.
Lors du dernier congrès de l'UGTT, plusieurs femmes syndicalistes ont annoncé leur candidature
au Bureau Exécutif et l'on retirée avant le scrutin… Interrogée par un journaliste, l'une d'elles
affirme “qu'il sera it humiliant pour moi de me retrouver parachutée à un quelconque poste
uniquement en fonction de ma fé minité. L a femme doit s'im poser en fonction de ses aptitudes
personnelles et par son travail et non pas du fait de sa féminité 77. Les femmes syndicalistes
contestent néanmoins la p rédominance masculine au sein des organes de direction des syndicats à
l'échelle nationale, alors que 30 % des adhérents à l'UGTT sont des femmes.
Elles sont conscientes toutefois que cette situation changera avec le temps et avec l'évolution
des mentalités, du fait qu'elle est liée à certaines attitudes culturelles et sociales négatives à l'égard
de la femme au travail qui persistent dans la société tunisienne, malgré l'existence d'une législation
avancée da ns ce domaine. Le rapport du secrétaire général au 18ème congrès reconnaît ces difficultés
et les déplor e :
“Malgré le développement de l'activité de la femme au travail, le nombre de femmes
candidates aux responsabilités syndicales est encore faible ce qui limite leur rô le dans la
définition des choix de notre organisation et de ses priorités .
“Les problè mes renc ontrés p ar la femme au travail sont no mbreu x et comp lexes. Ils
réclament un redoublement d'efforts pour réaliser plus acquis. Il est impensable qu'une part
importan te de femmes c essent de tr availler ap rès leur m ariage...
“Notre économie s e prive ain si de ces éléments et le mouvement syndical perd des milliers
de travailleuses qui auraient pu rejoindre ses rangs sans compter ce que rep résente le tr avail
comme renforcement de leur émancipation et l'affirmation positive de leur libération. Que
les causes de ce phénomène soient de la responsabilité de la famille ou dû au manque de
structures d'accueil des e nfants… co mme les c rèches, les jardins d'enfants et les réfectoires,
notre devoir est de mettre fin à cette hémorragie pour garantir les droits sacrés de la femme
au travail et les droits de la Société envers elle…
" Notre respect de ce droit sacré et l'engagement de la Collectivité nationale dans son
ensemb le pour le protéger et assurer les conditions adéquates pour que la femme l'exerce
est, en plus de sa conformité aux exigences démocratiques, une des garanties pour donner
à nos enfa nts u ne c ultu re s ocia le in disp ens abl e et u ne arme imp orta nte p our affronter les
forc es d e l'obsc ura ntis me e t du fa natisme ".
Grâce à la mise en place de la Commission Nationale de la Femme au travail auprès du Bureau
Exécutif et de commissions régionales auprès des bureaux ré gionaux d e l'organisat ion syndicale,
la direction de l'UGTT compense l'ab sence de représ entation fé minine dans le s organes directeurs
élus, et intègre de plus en plus les revendications des femmes qui travaillent parmi les demandes
sociales nouvelles qui figurent désormais dans ses programmes.
Cependant, la direction syndicale reconnaît que les résultats obtenus jusqu'ici n’arrivent pas au
niveau des attentes. Le rapport du Secrétaire Général au 18ème congrès est assez explicite à ce sujet:
“Malgré la création sta tutaire d'une co mmission p ermanen te de la femme au sein de la
centrale et malgré la c réation de co mmissions similaires au niveau des u nions régionales,
nous n'avons pa s concréti sé notre objectif qui consiste à attirer le plus grand nombre
possible de femmes travailleuses vers l'action syndicale …
28 Document du travail No. 120
78 Article 2d.
79 USTM A.
“Notre action en faveur de la femme travailleuse dans la prochaine étape doit se caractériser
par la continuité, le tra vail , afin de donner à cette grave question tou te l'importan ce qu'elle
mérite. Notre a ction ne se limitera pas à la scène syndicale, mais elle s'étendra aussi au
niveau social où nous oeuvrons pour améliorer la législation rela tive à la femme da ns le
monde du travail .
B.5) Intérêt des syndicats pour de nouvelles catégories de travailleurs
Répondant aux changements intervenus dans son environnement économique et social, l'UGTT
a non seulement intégré dans ses programmes des demandes sociales nouvelles, mais elle a étendu
ses activité s et fait béné ficier de son intérêt de nouvelles catégories de travailleurs qui n'entrent pas
dans la clientèle traditionnelle des syndicats. Il en est ainsi des travailleurs migrants, des travailleurs
indépendants et de ceux qui sont employés dans le secteur informel et les micro entreprises.
B.5.1) Les travailleurs migrants
“S’occup er des problèmes des travailleurs tunisiens à l'étranger, dé fendre leurs inté rêts et les
organiser au pla n syndica l constit ue un des objectifs figuran t dans les sta tuts d e l'UGT T, tels qu'ils
ont été amendés et adoptés lors du 18ème congrès en 199378.
L’intérêt de l'organ isation syndicale t unisienne pour les travailleurs migrants n'est pas nouveau.
En effet, tout en critiquant la politique de l'émigration organisée en tant q ue solution p our lutter
contre le chômage et en préconisant une politique volontariste pour la promotion de l'emp loi,
l'UGTT a manifesté depuis longtemps son intérêt pour les problèmes des travailleurs tunisiens à
l'étranger. Elle s'est employée à les résoudre en coopération avec les syndicats des pa ys d'accueil
et les associations de tunisiens à l'étranger, plus particulièrement dans les pays européens où
résident et travaillent la plupart des émigrants tunisiens.
L'intérêt de la centrale syndicale à l'égard des travailleurs migrants s'est particulièrement accru
durant les dix derniè res an nées, notamment ap rès la créat ion de l’Union syndicale des travailleurs
du Maghreb arabe79.
L'action de l'UGTT en faveur des travailleurs tunisiens à l'étranger se manifeste par
l'organisation en Tunisie d'une assemblée annuelle de leurs représentants, qui expriment à cette
occasion leurs doléances et leurs revendications, souvent en présence de représentants des syndicats
européens et maghrébins et avec la coopération de la CISL. L'UGTT organ ise également en
coopération avec USTMA des séminaires centrés sur les problèmes spécifiques que rencontr ent les
émigrants maghrébins, plus particulièrement dans les pays de l'Union Européenne où résident plus
de 2 millions de t ravailleurs or iginaires de T unisie, d'Algérie et du Maro c.
Il convient de soulign er que ces séminaires donnent lieu à des recommandations qui dépass ent
souvent le cadre de la défense des intérêts des travailleurs migrants, et qui expriment les opinions
des participants sur des sujets d'ordre économique et politique dans les pays d'origine. C'est ainsi
que la Conférence organisée à Tunis, en avril 1991, conjointement par l'USTMA, l'Union
Européenne des Syndicats et la CISL concernant les travailleurs maghrébins dans les pays de
l'Union Europé enne, après avoir rappelé l'importance d'un développement équilibré en vue de
promouvoir l'emploi et de réduire la pression migratoire, a conclu comme suit :
“Le point de départ des efforts de développ ement doit êtr e la reconn aissance d u fait que la
Démocratie est la condition préalable au progrès économique, et qu'il n'est pas possible de
garantir la stabilité indispensable au développement sans la participation effective des
peuples dans les décisions économiques et politiques .
“En outre, une dé mocratie e ffective est tributaire de l'existence d 'un cadre in stitutionnel
fondé sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, des organes d'information et de l'action
syndicale .
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 2 9
80 Citations extraites du rapport au 18ème Congrès.
81 Citations extraites du rapport au 18ème Congrès
“Les organisations syndicales du Maghreb occupent une position im portante d ans le
développement de leurs p ays à travers leu rs efforts auprès de leurs gouvernements pour les
amener à adopter des politiques économiques et sociales saines et à travers leurs actions
pour dé fendre la démo cratie et les dr oits de l'homme ".
En agissant auprès des syndicats européens, l'UG TT cherche à faire pres sion sur les
gouvernements des pays d'accueil en vue d'infléchir leurs politiques et leurs législations en faveur
d'une meilleure protection des droits d es travailleurs migrants tunisiens. En outre, et avec la
coopération des syndicats maghréb ins, l'UGT T cherche à promouvoir une coordination des
politiques des gouvernements des pays du Maghreb concernant la protection des droits de leurs
émigrants à l'Etranger.
Par ailleurs, l'un des objectifs de l'UGTT dans son action en faveur des travailleurs migrants est
leur encadrement syndical à l'étranger. Dans cet ordre d'idée, elle a encouragé la création
d'associations de tunisiens à l'étranger avec lesquelles elle entretient des relations de coopération.
B.5.2) Secteur inform el et travailleurs ind épendants
Malgré les encouragemen ts et les diffé rentes incitat ions en faveur des investis sements, les
créations d'emplois salariés dans les secteurs structurés de l'économie, bien qu'en progression,
restent en deçà des demandes nouvelles. Dès lors, l'objectif de la politique du gouvernement dans
le domaine de l'emploi n'est plus limité à la création d'emplois s alariés mais s 'étend désorm ais à la
création de sources de revenu.
En d'autres termes, ceux qu i font leur entré e sur le marché de l'emploi et qui on t la chance
d'échapp er au chômage ne viennent pas accroître systématiquement les sources traditionnelles de
recrutement s yndical ni remplacer ceux qui sont mis à la retraite ou ceux qui sont licenciés p our des
raisons économiques. Alors que ceux-ci viennent en déduction des salariés adhérents ou adhérents
potentiels d es syndicats , ceux-là son t en dehors du champ tr aditionnel de l'action s yndicale.
C'est ce qui explique que l'UGTT s'intéresse de plus en plus à ces nouvelles catégories de
travailleurs qui ne font pas partie de son champ d’action traditionnelle, notamment aux travailleurs
indépendants et à ceux du secteur informel. Ce secteur emploie environ 40 % de la main-d'oeuvre
occupée dans les secteurs non agricoles, et constitue une nouvelle cible pour l'act ion syndicale,
d'autant plus qu’il est “caractérisé par des conditions précaires et malsaines 80, auxqu elles s'ajoutent
la faiblesse d es revenus de ceux qui y travaillent et la non ap plication des lois sociales. “ Les
travailleurs de ce secteur sont, de ce fait, parmi les couches les plus nécessiteuses et les plus
vulnérables de la classe ouvrière . L'UGTT est consciente, cependant, que l’extension du secteur
informel répond à des nécessités d'ordre éco nomique et s ocial, compte t enu de l'accroissem ent des
demandes d'emploi non satisfait es et des besoins de consommation des couches p opula ires
disposant d'un faible revenu.
En s'intéressant aux problèmes du secteur informel, l'UGTT est consciente des dangers que
représente le travail clandestin dans ce secteur, pour les travailleurs eux-mêmes comme pour les
employeurs et les travailleurs du secteur structuré. Ses préoccupations dans ce domaine rejoignent
celles des employeurs et de l'Etat, mais sa stratégie, contrairement à celle des employeurs, exclut
toute action rép ressive et vise à sub stituer une dé marche d'encadr ement et de pr otection à celle des
“restrictions et des poursuites 81
L'UGTT préconise que les pou voirs pub lics protègent davantage l'environnement, les conditions
de travail, l'hygiène et la sécurité dans ce secteur et lui accordent une plus gr ande attent ion et des
moyens qui lui permettent d'évoluer et de s'intégrer à son rythme, compte tenu de sa spécificité:
crédits à taux réduit, exonérations fiscales, locaux et installations logistiques à bas prix, par
exemple.
En outre, l'UGTT recommande d'encourager les tra vailleurs de ce secteur à s'organis er, à
exploiter en commun les locaux et les installations existants et à créer des filières communes de
distribu tion et de vente.
30 Document du travail No. 120
82 2ème grande ville, située dans le Sud de la Tunisie.
83 Communiqué du Conseil des Ministres du 6 mai 1999.
Ces propositions sont en grande partie en voie de réalisation par le gouvernement qui a mis en
place une stratégie d'encouragement des micro entrep rises et du travail indépendant. Avec l'aide du
gouvernement, des expériences ont été lancées dans certaines régions, des “pépinières de projets
ont été cré és dan s lesq uelles les t ravailleu rs indépendant s exploit ent en commun certains locaux et
certains équipements. Par ailleurs, le gouvernement, vient de créer la Banque Nationale de
Solidarité, une banque dont le capital est constitué en grande part ie par des s ouscript ions pop ulaires
et qui assure le financement des micro projets à un des taux d'intérêt réduits.
De son côté, l’UGTT a commencé à organ iser les t ravailleu rs du s ecteur info rmel, et de la microentreprise.
C’est a insi qu’un nouveau synd icat des «friperies » vient de se créer à Sfax82, qui
regroupe des activités marginales faisant partie du secteur informel. Un autre syndicat a été créé
regroupant les conducteurs de taxis qui sont également des petits exploitants. Les pêcheurs, qui sont
soit des trava illeurs indépen dants, soit des trava illeurs à la pa rt, sont é galement regro upés d ans des
coopératives, sous l’égide de l’UGTT.
De son côté, le gouvernement vient d'adopter un projet de loi destinée à “permettre l'insertion
du plus grand nombre de catégories s ociales dans le circuit économiq ue en leur procura nt à des
conditions plus ava ntageuses , les micro crédits qu'il ne pourr aient pas obtenir au près d 'autre sour ces
de financement 83.
L'intérêt de l'UGT T pour de nouvelles catégories de travailleurs qui n'entrent pas dans son
champ d'activité traditionnelle témoigne d'une volo nté d'é tendre s on influen ce, de renfor cer son rô le
de défenseur des intérê ts des tra vailleurs indép endamment de leur statu t juridique, et d'a ccréditer
son ima ge de pro moteur du pro grès s ocial et de la condition des tra vailleurs en géné ral.
En d'autres termes, les effets négatifs de la mondialisation qui ont imposé des limites aux
revendications syndicales tra ditionnelles po ur l'améliorat ion des salaires et des con ditions de trava il
sont en quelque sorte compensés par la prise en charg e par les synd icats des int érêts d e nouvelles
catégories de travailleurs non salariés et par un plus grand investissement de l'action syndicale dans
le champ social. Certes, pour l'UGTT, depuis sa création et comme cela a été développé
précédemment, l'action syndicale ne s'es t jamais limit ée à la seule défense des intérêts matériels
et moraux des travailleurs salariés.
Cependant, la tendance de cette o rganis ation s yndicale à se présenter comme le représentant
unique du monde du trav ail et le po rte-pa role des aspiration de tous les travailleurs à des conditions
de vie meilleures, s'est particulièrement affirmée au cours des dix dernières années.
B.6) Les changem ents au niveau de l'organisa tion interne et extern e des syndicats
L'évolu tion de l'environnement politique, éco nomique et s ocial de l'action syndicale du rant les
15 dernières années, telle qu'elle a été décrite dans les pages précédentes, a eu des répercussions
importantes sur les adh ésions s yndicales, sur l'orga nisation int erne de l'UGT T et sur les alliances
qu'elle s'est constituées à l'Extérieur.
B.6.1) Les adhésions
Après les sciss ions q ui sont intervenu es dans les rang s de l'UG TT au milieu des années quat revingt
et suit e à l'affrontement qu'elle a eu à la même époq ue avec le gouvernement, celui-ci a annulé
les avantag es dont bénéficiait la cent rale syndicale. Notamment la retenue à la sou rce des
cotisations des adhérents fonctionnaires et salariés du secteur public et le détachement auprès de
cette organisation des fonctionnaires et agents des société s nationa les qui const ituaient l'essen tiel
de ses cadres permanents. L'UG TT a alors perd u beaucoup de ses adhé rents et ses ressources
financières on t diminué en conséquen ce.
Cette situation s'est beaucoup amé liorée depuis la réunification du mouvement syndical en
1989. En effet, et bien que les statistiques des adhésions syndicales ne soient pas pub liées, on peut
estimer que le taux de syndicalisation est encore relativement élevé, si l'on en juge par le nombre
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 3 1
84 Selon les statistiques de l'INS, Recensement de 1994.
85 Information recu eillie auprès d’u n mem bre de l’exécutif.
86 Selon le Règlement Intérieur de l’UGTT.
87 Actuellement au nombre de 95.
de délégués au dernier congrès (547 délégués à raison d'un délégué pour 600 adhérents) pour une
population de salariés de 1.628.000 ce qui donne un taux de syndicalisation de plus de 20 %84.
Néanmoins, la recherche de nouvelles adhésions et la mobilisation de nouvelles ressources
financières figurent parmi les objectifs immédiats de l'UGTT et justifient les mesures de
diversification de ses activités et de restructuration qu'elle a prises dans son organisa tion interne.
Alors qu’elle a lim ité jusq u’ici ses a ctivités à l’action syndica le et politique et à l’éducation
ouvrière, l’UGTT a entrepris leur extension à la formation professionnelle et aux activités
culturelles en vue d’attirer davantage les jeunes et de favoriser leur adhés ion aux syndicat s. Elle
réalise ainsi que les motivations d es travailleurs ne sont p as exclus ivement syndicales et sociales
et essaie d e créer de no uvelles act ivités q ui répondent aux nouveaux besoins de ses adhérents
potentiels.
C’est ainsi qu’elle envisage de lancer très prochainement85 un progra mme d’initiat ion et de
formation dans le doma ine de l’informat ique qui est particulièrem ent prisé e par les jeunes . Des
activités culturelles et sp ortives sont également envisagées pour ces derniers, et seront réalisé es soit
directement par l’UGTT, soit en coopération avec les entreprises qui accepteront de coopérer dans
ces domaines.
B.6.2) La restructuration
Pour renforcer sa présence dans les régions et dans les différentes activités économiques,
l'UGTT a entrepris durant les dix dernièr es années une réforme d e ses stru ctures internes , en
renforçant ses deux “ maillons faib les à sav oir les unions loca les et les syndicats de base, et en
procédant à une plus grande décentralisation de son organisation.
La première réforme a consisté à faciliter la création d'unions locales même en l'absence du
nombre minimum d'adhérents exigés préalablement à leur constitution (1500 adhérents)86. Cette
décision a permis d 'augmenter d e près de 5 0 % le nombre d'unions locales87, dont le rôle est
particulièrement important po ur assis ter et encadrer les s yndicats de b ase et renforcer la présen ce
syndicale auprès des autorit és locales. C es unions loca les bénéf icient des services d 'un person nel
permanent constitué de syndicalistes chevronnés.
La seconde réforme a consisté à encourager davantage les syndicats de base en leur fournissant
les services des cadres syndicaux permanents des unions locales et en augmenta nt leur par t sur les
cotisations perçues auprès des adhérents, l'UGT T s’étant donné pour objectif : “Un syndicat de base
dans chaque entreprise . Un objectif qui semble difficile à réaliser du fait que certains employeurs
demeurent hostiles à la constitution des syndicats.
Ceci étant, l'UGTT demeure une organisation fortement centralisée, à l'image d'ailleurs de
l'organisation patron ale, du fait que les négociations collectives se déroulent essentiellement au
niveau national alors que les grèves et les lock-out, doivent être préalablement approuvés p ar les
centrales des deux organis ations , et ce conformément aux dispo sitions du Cod e du Tra vail.
Le renforcement des structures locales répond par conséquent davantage à des pré occupations
d'intensification de l'action syndicale de base et d'accroissement du nombre d'adhérents qu'à une
volonté de dé centralisat ion effective.
B.6.3) Coopération avec les syndicats non nationaux
L'UGTT est memb re de plusieurs organisa tions syndica les régionales et internationales. Elle est
notamment membre de la C .I.S.L et son s ecrétaire géné ral est Vice-P résident de cette
Confédération, avec laquelle elle entretient depuis très longtemps une coopération particulièrement
intense, dans tous les dom aines de l'activité syndicale.
L'UGTT est également membre de l'Union Internationale des Syndicats Arabes et de
l'Organisation de l'Unité Africaine des Syndicats.
32 Document du travail No. 120
En outre, elle est membre fonda trice de l'Un ion syndicale des travailleurs du Maghreb arabe
(USTMA), organis ation créée en D écembre 1989 à la suite de la cré ation de l'Union du Maghreb
arabe (U MA) entre la Tunis ie, la Libye, l'Algérie, le M aroc et la M auritanie.
L'Union syndicale des travailleurs du Mag hreb arabe (USTMA)
L'USTMA, qui a son sièg e à Tun is et don t le secrét aire général est celui de l'UGTT, s'est donné
pour objectifs le renforcement de l'action syndicale dans les pays de l'UMA, la concrétisation de
l'unité des travailleurs manuels et intellectuels dans ces pays et leur mobilisation p our affron ter les
défis qu'ils rencontrent à l'intérieur et à l'extérieur.
Depuis sa création, l'USTMA a mis en place ses structures et a déployé son activité dans
plusieurs domaines. Dans son rapport d'activité relatif à la période 1989 - 19 92, elle souligne que
les expériences vécues dans les pays du Maghreb à l'occasion de la mise en oeuvre des politiques
d'ajustement structurel montrent que la prise en considération de la dimension sociale est
indisp ensab le au succès de toute réforme économique ou financière, comme cela a été confirmé par
les événements vécus par le Maroc en 1983 et en 19 90, par la Tunisie en 1984 et par l'Algérie
depuis 1988. Ces trois pays ont connu duran t cette pério de des manifes tations p opulaires v iolentes
liées à la détérioration des conditions de vie de la population.
Le rapport conclut qu'il est “impossible d'engager des réformes économiques profondes sans
se soucier des conditions de vie de la population et sans tenir compte des problèmes sociaux à
savoir la montée du chômage, de la pauvreté et de l'analphabétisme, l'insuffisance de la protection
sociale et les inéga lités et qu'il est particulièrement “dangereux de suivre des politiques d'ajustement
qui s'app uient sur une ré duction de la dema nde globale, la lib éralisatio n des prix et du commerce
extérieur, et la réduction du rôle de l'Etat dans le domaine économique sans tenir compte des effets
négatifs de ces politiques sur les conditions de vie de la population .
Ainsi, il appar aît qu'en dehors des motivation s politiq ues qui animent les dirigeants des syndicats
maghrébins et des fa its his toriqu es qui p rouvent que l'unif ication de l'action syndicale a été
envisagée et même amorcée depuis longtemps , avant l'indépendance de leurs pays, la création de
l'USTMA répond à une volonté com mune des synd icats mag hrébins d'unir leurs effor ts pou r lutter
contre les effets sociaux négatifs de la libéralisation du commerce et de la mondialisation.
Leurs préoccupations apparaissent nettement dans la première et la plus intéressante initiative
de l'USTMA à savoir la promulgation du Pacte des Droits Sociaux Fondamentaux des Travailleurs
du Maghreb Arabe, en avril 1991.
Après avoir ra ppelé le rôle his torique du mouvement syndical dans la lutte de libération
nation ale et dans l'édification d'un ensemble maghrébin ou “règnent la pros périt é, la just ice sociale
et la démocratie , le pacte souligne dans son préambule la nécessité pour les gouvernements de
prendre en considération la dimension sociale de toute réforme éco nomique et d e garantir le res pect
des droits et des libertés syndicales, des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le pacte énonce un certain nombre de droits sociaux fondamentaux qui s'insp irent des norm es
internation ales figurant da ns les pa ctes internat ionaux rela tifs aux droits écon omiques et sociaux
et dans les Con ventions internat ionales du trava il.
Ainsi, le Pacte énumère et définit les Droits sociaux fondam entaux suivan ts : le droit au tra vail
et au libre choix de l'emploi ; la non discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion ou
l'opinion ; les liber tés syndicales ; la liberté de circulation des travailleurs entre les pays membres;
le droit à un salaire équitable et suffisant ; la protection des droits de la femme au trava il ; le droit
à la sécur ité socia le et à l'amé lioration des conditions de vie et de travail ; le droit à la protection
de la santé et à la sécurité dans le travail ; le droit à la formation et à la pr omotion p rofessionn elle;
le droit de participation aux résultats de l'entreprise et le droit d'être informé sur la situation et
l’évolut ion de celle-ci.
Le pacte recommande en outre aux gouvernements des Etats membres de coordonner leurs
politiques économiques et sociales en vue de prom ouvoir l'emploi, de ré duire la press ion migrato ire,
de proté ger les dro its de leur s trav ailleurs à l'étranger, de prot éger l'enfance, les p ersonnes â gées et
les handicapés, et d'encourager les coopératives ouvrières.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 3 3
88 Le Peuple.
Le pacte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du Maghreb Arabe constitue donc un
socle de droits minima que les syndicats membres de l'USTMA s'engagent à défendre et à prot éger
contre les risques que présentent à leurs yeux la libér alisation du com merce inter nation al et la
mondia lisation. Les organisations signataires s'engagent par conséquent à agir auprès de leurs
gouvernements respectifs pour qu'ils respectent les dispositions de ce pacte et pour qu'il s
harmonis ent leurs po litiques et leurs législations en conséq uence.
B.7) Les syndicats et l'opinion publique
B.7.1) La politique de communication de l'UGTT
Soucieuse d'avoir le soutien de l'Op inion Politiqu e à ses revendica tions et à s es programme,
l'UGTT attache beaucoup d'importance à sa politique de commu nication et disp ose à cet effet des
moyens et des structure appropriés, notamment d'un journal hebdomadaire (ECHAAB)88. Les
missions de ce journal, telles que décrites par le Règlement Intérieur, (Art. 84) sont aussi
nombreuses que variées . Elles visent en effet à informer l'op inion pub lique sur les a ctivités et les
revendications syndicales, à informer les lecteurs sur les événements d'ordre nation al et
international, à participer à l'éducat ion ouvrière, à f aire connaît re les préoccup ations et les
problèmes des travailleurs et à gagner à la cause de l’UGTT et à ses revendications l'opinion
publiq ue nationale.
Avec la crise qui a affaibli l'organisation syndicale au milieu des années 80, la diffusion du
journal est devenue insuffisante et sa gestion financière déficitaire, ce qui a entraîné l'arrêt de sa
parution. Après la réunification syndicale en 1989, la publication reprit.
Cependant, malgré une décision du Conseil National de l 'UGTT pris e en 199 0, app elant les
cadres et responsables syndicaux à s'abonner, le rapport au 18ème congrès souligne que la gestion
du journal est encore déficitaire. C'est la raison pour laquelle celui-ci a accepté depuis de faire de
la publicité pour les ent reprises et leur propo se des ab onnements de soutien. Pa r ailleurs, les
questions traitées par le journal ne sont plus exclusivement syndicales et traitent désormais de sujets
divers de façon à int éresser un plus grand nom bre de lecteurs et à gagner les dif férentes t endances
de l'opinion pu blique nat ionale. C'est g râce à ces nouvelles mesures q ue le journal a pu surmont er
les difficultés f inancières q u'il avait rencont rées il y a une dizain e d'années
En plus du journal, l'UGTT publie un bulletin bi-mensuel en français et en anglais (UGTTINFO)
destiné aux syndicats étrangers avec lesquels elle entretient des relations.
Elle participe également aux débats qui sont organisés soit par les journaux et les revues soit par
la radio et la télévision nationales. Enfin, le service d'information de l'UGTT a établi un réseau de
communication avec les différents organes d'information en Tunisie et à l'étranger et les alimente
régulièrement en informations sur ses activités.
B.7.2) L'image syndicale dans l'opinion publique
L'UGTT conserve dans l'opinion publique l'image d'une organisation prestigieuse du fait de sa
participation active à la lutte de libération nationale. Elle est considérée aussi comme u ne
organisation qui demeure proche des préoccupations populaires et fait partie des forces de progrès
et de changement social dans le pays.
L'opinion publiq ue est cep endant conscient e des limites qu'imp osent à l'action s yndicale un
environnement économique dé favora ble et les co ntrain tes de la compét itivité croissante résultant
de la libéralisation du commerce international et de la mondialisation. L'opinion est également
consciente des changements survenus dans la stratégie de la centrale syndicale, devenue plus
réaliste et moins sujette aux tentations de confrontation avec le gouvernement tout en conservant
sa dimens ion politiqu e et en maintena nt sa p résence agis sante su r la scène nat ionale.
Au lendemain du 19ème congrès en avril dernier, l'hebdomadaire tunis ien “Réalités” écrivait à
ce sujet: “le cycle inauguré en 198 9 est dé sormais clos. Une UG TT assagie et consciente de ses
34 Document du travail No. 120
89 No. 696 du 15 au 21 avril 1999, p. 14.
90 No. 33, avril 1999.
91 14 au 28 avril 1999.
limites a remplacé la fédération des mécontents et des compagnons de route qui a dirigé le
mouvement social et la contestation politique pendant dix ans 89.
Dans le même ordre d'idé es, la revue mens uelle “Le Manager écriva it90 : “L'UGTT tient son
19ème congrès sur fond de négociations salariales. On pouvait légitimement craindre surench ères et
dérives. Les syndicalist es nous ont fait l'économ ie d'un tel scénario qui eut assombri les
persp ectives de relance de la croissante nationale. Non qu'ils furent en tout point conciliants si l'on
en juge par leur déter minatio n et l'âp reté des négocia tions, m ais la raison et le réalisme ont fini par
triompher… Paradoxalement, la mondialisation a dénationalisé les marchés du trava il et leur a fa it
perdre leur cohérence interne. La libre circulation des marchandises et des capitaux a pour corollaire
de tirer les salaires vers le bas. Vouloir les préserver est déjà, par les temps qui courent, un exploit .
De son cô té, la revue “l'Economiste maghrebin” écrivait :
“L'interdépendan ce de l'économie mondiale a atteint une telle intensité qu'elle
marque un tournan t dans la v ision et la percep tion de l'action synd icale.
“Le mouvement s yndical dans son ensemb le a pris conscience de ces changements
et les a intégr és dans sa déma rche quotidienn e ou à long terme…
“L'UG TT fo rte de ses cadr es et de son long parcours syndical l'a fort bien compris.
Elle a eu l'intelligence et l'intuition de ne pas aller à cont re couran t de l'hist oire.
Elle en a donné la preuve au cours des tr ois rounds de négociation s salaria les
triennales ; elle n'a jamais joué les salaires contre l'emploi au péril de la sécurité
et de l'indépendance économique du pays comme au lendem ain de sa na issance.
C'est aussi son honneur et sa légitimité de se mobiliser sur l'emploi .
“La sagesse et le réalisme l'on emporté…. .
“Une conversion for cée ? Que non, car au bout du compte l'UGTT s'est
repositionnée sur l'échiquier économique et social avec l'assurance d'un partenaire
à part en tière 91.
Conclusion
Les changements politiques v écus p ar la Tunisie au cours de s dix d ernières années ont permis
à l’UGTT de reprendre sa place comme partenaire social de l’Etat et des employeurs, après une
crise qui l’a particulièrement affaiblie au milieu des années 80.
Parallèlement, ces changements et plus particulièrement l’instauration du pluralisme politique
ont réduit le champ d’int ervention de cette org anisation syndicale sur la s cène politiq ue.
Dans le domaine économ ique, la libéra lisation du com merce extérieu r, la rédu ction de la
protection douanière et la priv atisation des entreprises publiques ont créée un environnement
particulièrement défavorab le que l’UGTT a su affro nter ave c réalism e. Elle a réussi à en limiter les
effets sociaux négatifs, en préservant le pouvoir d’achat des travailleurs salariés, en préco nisant la
mise en place par le gouvernement de mesures d’accompagnement et de ga rde-fous, et en
part icipant activemen t aux réform es de la lég islation du trav ail.
Parallèlement, les changements structurels provoqués par la libéralisation des échanges et par
la mondialisation de l’économie ont entraîné des modifications importantes dans sa stratégie et son
programme d’action.
Sa stratégie, tout en privilégiant la défense des intérêts matériels et moraux de ses adhérents, vise
à étendre son influence à d’aut res catégo ries de travailleurs , telles que les travailleurs indépendants,
ceux du secteu r inform el, et les retr aités dont le p oids au gmente avec l’évolu tion démographique
du pays.
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 3 5
92 M. T rabe lsi, Sec rétair e gén éral a djoin t de l’UGTT . Jou rna l “Achaab”, no. spécial, janvier 1996.
En outre, un intérêt plus grand est accordé aux jeunes travailleurs, aux femmes et aux travailleurs
migrants dans les programmes de la Centr ale Syndicale.
De nouveaux centres d’inté rêts f igurent désorm ais pa rmi ses préoccupat ions, tels que le
problème du chômage, de la formation professionnelle et de l’Environnement.
Enfin, les changement s au pla n national et int ernational on t conduit l’UG TT à se restruct urer
de l’intérieur. Elle a renforcé sa représentation géographique, créé de nouvelles structures qui
concrétisent ses nouvelles pré occupations et ses nou veaux centres d ’intérê t (comm ission du trava il
féminin, nomination d’un membre de l’exécutif res ponsa ble des relations avec les cad res, le
mouvement associatif, et les retraités) et lancé de nouveaux programmes d’activités (formation,
activités culturelles et sportives) pour attirer de nouveaux adhérents.
Sur le plan extér ieur, l’UGT T a renfor cé ses relation s avec les syndica ts des p ays du M aghreb
et a participé à l’élaboration d’un pacte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du
Maghreb arab e.
Compte tenu de ce qui précède, quelles sont les tendances et pers pectives de l'action s yndicale
en Tunisie ?
L'UGTT est consciente qu'elle doit s'adapter au nouvel environ nement économique mondial et
aux changements qui résultent de la libéralisation du commerce inter national et de la
mondialisation. Elle est consciente que ces changements globaux et structurels exercent une très
grande pression sur les législations sociales et sur les acquis sociaux et nécessitent une
restructuration des institutions sociales, un recentrage du rôle des syndicats et une redéfinition du
contrat social entre l'Etat et les citoyens. Elle se prépare par conséquent à ass umer de nouvelles
responsabilités à l'aube du nouveau millénaire. Ses deux derniers congrès tenus en 1993 et 1999 ont
été consacrés à présenter les réponses qu’elle compte app orter au x changements provo qués par la
mondialisation, à définir les chang ements q u'elle envisage d’intr oduire dans sa stra tégie, dans ses
programmes et dans ses rapports avec ses partenaires traditionnels et, enfin, à fixer les no uvelles
missions qu'elle entend as sumer au s ein de la société t unisienne.
Ainsi, les deux congrès ont d égagé les a xes aut our desq uels se pro filent les tendances et les
perspectives de l'action syndicale, à savoir :
- S'adapter et préserver les acquis des travailleurs.
- Accroître la représentativité et la capacité de négociation des syndicats.
- Assumer de nouvelles miss ions à l'échelle de la So ciété dans son ensemb le.
1) S'adapter aux défis et aux conséquences de la mondialisation
C'est d'abord reconnaître son caractère global et structurel et identifier ses effets inéluctables à
court et à moyen terme. A cet égar d, l'UGTT perço it la mon dialisation à travers ses effets négatifs
immédiats sur l'emploi et les salaires des travailleurs, sans pour autant contester ses effets positifs
potentiels s ur la croissa nce et l'emploi à mo yen et à long terme.
Mais s'adapter consiste aussi, pour l'UGTT, à reconnaître q ue “la libé ralisation du commerce et
le dévelop pement des exp ortat ions con stituen t une so urce ess entielle po ur la création des richesses
et des emplois et à intégrer, par conséquent, l'amélioration de la productivité du travail et des
qualifications de la main-d'oeuvre, l'utilisation des technologies nouvelles, l'amélioration du
rendement et de l'efficacité du capital, parmi les axes stratégiques de l'action syndicale, en vue
d'appu yer l'effort national vers l'accroissement des exportations, des investissements et de
l'emploi 92 .
L'adaptation signifie enfin proposer au lieu de s'opposer et substituer l'alternative à l'opposition
dogmatique ou systématique, c'est-à-dire adopter une attitude plus ouverte, plus positive et plus
disposée à la négociation et au compromis, sans pour autant renoncer aux principes et au idéaux.
On peut percevoir les signes d'une telle adaptation dans les discours des dirigeants de l'UGTT
et dans les rapports de ses d erniers congrè s, qui reconna issent l'imp ortance de l'invest issement et
de l'initiative privés, la nécessité de privatiser les “entreprises publiques non stratégiques ,
l'impér atif d'une plus grande compétitivité des entrepr ises, la nécessité de prendre en considération
36 Document du travail No. 120
dans l'action syndicale les préoccupations des employeurs concernant l'amélioration de la
productivité du travail et du rendement des investissements
En adaptant son discours et son programme aux nouvelles réalités, l'UGTT cherche à se
maintenir, à perdurer, à consolider sa position de représentant unique des salariés auprès du
gouvernement et des employeurs , à demeur er l'interlocuteur incont ournab le de l'un et de l'autre,
pour prés erver les a cquis des travailleurs tout en cherchan t à étendre s on action à d'a utre catégo ries
de travailleurs et à prendre en charge de nouvelles revendications sociales.
2) Accroître la représentativité des syndicats et leur capacité de négociation
L'UGTT sait en effet que sa force et sa capacité de négociation proviennent essentiellement de
son unité et de sa représentativité ; elle est consciente que les effets de la mondialisation vont au
delà des contraintes qui pèsent sur le niveau de protection sociale des travailleurs et menacent de
marginaliser les syndicats et d'affaiblir leur action.
La représentativité des syndicats dépend généralement du nombre et de la diversité de leurs
adhérents. L'action syndicale s'orientera p ar conséquent d'ab ord en direction de ceux -ci. Elle
cherchera également à investir de nouveaux espaces, à gagner de nouvelles adhésion s, à exp rimer
de nouvelles aspirations et revendications.
a) L'UGTT et ses adh érents
“Les organisations syndicales tirent leurs forces de leurs adhérents, de leur lutte et de leur
fidélité. Il est donc évident qu'elles doivent les traiter d'une manière différente. Les adhérents
doivent bénéficier de services sociaux spéciaux . Telle est l'une des conclusions du rapport du
secrétaire général au 18ème congrès.
L'UGTT qui a toujours agi pour la défense des intérêts des travailleurs dans leur totalité
s'efforcera d'abord et désormais de renforcer la fidélité de ses adhé rents en les dis tinguant p ar des
services spéciaux qu'elle pourra leur accorder, en plus de la défense de leurs intérêts matériels et
moraux.
b) L'extension de l'action syndicale à d'autres catégories de travailleurs
L'UGTT orientera son action future à d'autres catégories de travailleurs qui ne figuraient pas
parmi sa “client èle " tr adition nelle, et qu i sont g énéra lement ex clus de to ute pro tection s ociale, tels
que ceux de la petite entreprise, du secteur informel et les travailleurs indépendants.
En outre elle s'attachera à défendre les intérêts d'autres catégor ies de travailleurs , lesquels, b ien
que protégés par la législation sociale, ne sont pas suffisamment organisés pour défendre leurs
propr es intérêts: notamment, les cadres et les techniciens des entreprises généralement considérés
comme plus proches des employeurs, mais dont les revendications sont en réalité les mêmes que
celles des salariés, et les travailleurs retraités, dont le nombre s'accroît avec l'évolution
démographique du pays.
c) L'expression de nouvelles revendications
En dehors de so n action visa nt à accroît re le nombre de ses adhérents, l'UGTT cherchera à
exprimer des revendications sociales nouvelles en prenant en charge les aspirations de certaines
catégories sociales et celles de l'ensemble de la population.
Ainsi, elle s'intéressera de plus en plus au problème de l'emploi des jeunes diplômés, au
financement de la micro-entreprise, à la formation professionnelle et à l'environnement.
En somme, l'action syndicale destinée à accroître le représentativité de l'UGTT s'exercera
parallèlement dans le sens de l'augmentation du nombre de ses adhérents et de la prise en charge
des prob lèmes de certain es catégor ies sociales don t elle se fera le port e-parole.
3) Assumer de nou velles missio ns au sein d e la société
Forte de son prestige et de son rôle d'organisation nationale, l'UGTT continue à avoir des
préoccupations qui dépassent le cadre strict de l'action traditionnelle et se situent au niveau du
modèle de société qu'elle a toujours cherché à défendre et à faire pr évalo ir . C'est dans cet esprit,
Les syn dicat s et la m ondialisat ion: le c as de la Tu nisie 3 7
93 Rapport au 18ème Congrès.
et partant du fait que la libéralisation du commerce et la mondialisation de l'économie comportent
des risqu es de dés équilib re social, q u’elle place désormais l'action syndicale dans une perspective
de préser vation de la cohé sion sociale et de p romotion d e la solidarité n ationale.
C'est la raison pour laquelle elle ajoute à ses revendications syndicales tradition nelles celles
relatives à la répartition équitable des revenus, à la promotion de l'emploi, à la protection de
l'environnement et à la consolidat ion de la démocr atie.
Bien plus, lo rs de so n dernier co ngrès elle a proposé une alliance entre les tra vailleurs et les
employeurs, dans le doub le objectif de se pr émunir, p ar une sort e d'union nation ale, contre les
risques et les retombées négatives de la mondialisa tion et de pré server à la fois les intérêts des
travailleurs et ceux des employeurs. Il s'agit en quelque sorte, d'un nouveau contrat social dont
l'UGT T se pr ésente comm e l'initiateur, qui p ermettrait d e :
1) Maintenir le pouvoir régulateur de l'Etat.
2) Favoriser le développement de l'entreprise, sa prospérité et sa pérennité.
3) Préserver le niveau de l'emploi et celui de la protection sociale des travailleurs.
Ces propositions sont encore très récentes et il est difficile de prédire la suite qui leur sera
réservée par le Gouvernement et par les employeurs, t ant que l’UGTT n’a p as pré cisé ce qu’elle est
en mesure d’offrir en contrepartie de ses revendications concernant la préserv ation de l’emp loi et
du niveau de p rotection so ciale.
S’il est difficile de s’attendre de la part de l’UGTT à de nouvelles concessions sociales au nom
des travailleurs, son appel pour un nouveau contrat social pour préserver la cohésion s ociale et
renforcer la solidarité nationale s’adresse en fait et en premier lieu à l’Etat, en tant que garant de
cette cohésion et promoteur de cette Solidarité.
Cela laisse supposer que dans le nouveau programme de l’UGTT, le premier objectif de l’action
syndicale sera de maint enir des relations privilégiées avec l’Etat, et de faire en sorte q ue celui-ci
demeure son principal interlocuteur, de moins en moins en tant qu’employeur, et plus en p lus en
tant qu e détenteur de la p uissance p ublique et ré gulateur de la vie é conomique et sociale.
C’est ce qui explique que l’action syndicale aura tendance à s’étendre désormais et de plus en
plus dans le social, au sens large du terme, à prendre en considération de nouvelles préoccupations
sociales, à s’intér esser à d’a utre catégo ries de trava illeurs, à multiplier ainsi les ra isons et les
occasions de traîter avec l’Etat, sans renoncer pour autant à défendre les intérêts de ses adhérents
auprès des employeurs.
Quoi qu'il en soit, l'UGTT a ainsi défini à la fois sa stratégie et son nouveau rôle dans le contexte
de la mondialisation. Au-delà de la défense des intérêts de ses adhérents et de la préservation de
leurs acquis, elle consid ère que sa mission es t de veiller à la stab ilité sociale alors que son devoir
sera, comme l'affirme son secrétaire général : de “reconstruire la solidarité au niveau de la société
dans so n ensemble 93.
38 Document du travail No. 120
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